survielero

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Blog régional de l'association Survie (Aude, Gard, Hérault,Lozère,Pyrénées-orientales)

mercredi 30 septembre 2009

Appel « Stop paradis fiscaux »

Une campagne à l'initiative des organisations syndicales CFDT, CGT, Snui, Solidaires et des associations Attac, CCFD Terre Solidaire, Oxfam France-Agir Ici et de la Plate forme paradis fiscaux et judiciaires.
Les paradis fiscaux font des ravages. Ils ont amplifié la crise qui a jeté des millions de personnes dans le chômage et la précarité à travers le monde. Comment aujourd’hui accorder la moindre confiance aux banques si on ne connaît pas le montant de leurs capitaux dissimulés dans ces trous noirs de la finance mondiale ?
Les paradis fiscaux plombent le budget des États. Des grandes entreprises et des individus fortunés échappent aux impôts en y cachant leur argent, tandis que les autres paient à leur place. En France, la fraude fiscale coûterait 3 fois le déficit de la Sécurité sociale. Les paradis fiscaux y prennent une large part. Les pays du Sud, eux, voient s’envoler dans les paradis fiscaux près de 800 milliards d’euros par an !
Les paradis fiscaux servent également de base-arrière pour blanchir l’argent des trafiquants, des dictateurs et autres caisses noires de certaines entreprises. En protégeant les hors-la-loi et leurs secrets, ils menacent en permanence la paix et la démocratie dans le monde.
Les dirigeants du G20 ont appelé, en avril 2009, à une action mondiale contre les paradis fiscaux. C’est une bonne nouvelle. Mais ce premier pas n’est pas à la hauteur du scandale. À quoi bon dresser, par exemple, une liste des paradis fiscaux si c’est pour la vider, aussitôt, de son contenu ?
Sans la présence des banques et des multinationales des pays du G20, les paradis fiscaux n’existeraient plus : 100% des entreprises et des banques françaises du CAC 40 y ont des filiales. C’est sur celles-ci que la France et la communauté internationale doivent agir !
Qui que l'on soit – citoyen, consommateur, militant syndical, élu local ou dirigeant d'entreprise, demandons davantage de transparence aux utilisateurs des paradis fiscaux.Ensemble, exigeons la disparition des paradis fiscaux !
Je signe l’appel « Stop paradis fiscaux » et je m’engage dans la mobilisation citoyenne pour faire cesser cet état de non-droit.

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lundi 14 septembre 2009

Enterrement d'un espoir

Ce samedi 12 septembre 2009, de 13h30 à 15h, les passants et les clients assis aux terrasses des cafés du centreè-ville de Grenoble ont assisté à un étrange défilé : Au son d’une marche funèbre, des acteurs grimés en responsables politiques, économiques et militaires de France et du Gabon ont transporté un cercueil symbolisant l’espoir démocratique gabonais assassiné. Ils étaient suivis par une vingtaine de personnes en deuil, arborant des pancartes dénonçant le soutien officiel français à Ali Bongo, nouveau maître de Libreville.

vendredi 4 septembre 2009

"L'élection gabonaise est un coup de force"

Une interview d'Odile Biyidi, présidente de l'association Survie
Le Monde, 4/9/2009

La commission électorale gabonaise a désigné Ali Ben Bongo comme vainqueur de l'élection présidentielle. Il succédera à son père qui avait dirigé le pays pendant 41 ans. Des émeutes ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, dénonçant des fraudes lors du vote. Les manifestants s'en sont aussi pris à des symboles de la présence française dans le pays, en attaquant une station essence Total et le consulat français à Port-Gentil. Odile Biyidi, présidente de l'association Survie – qui mène des campagnes d'information pour une réforme de la politique de la France en Afrique – dénonce elle aussi un coup de force et la perpétuation d'un système d'influence entre la France et l'Afrique.

Pour vous, l'élection d'Ali Ben Bongo à la place que tenait son père depuis 1967 est entachée d'irrégularité ?
Oui. Les premières constatations dans les bureaux montraient une avance considérable des deux candidats d'opposition (Pierre Maboundou et Andre Mba Obame) et Ali Bongo arrivait assez loin en troisième position. Ce résultat est un coup de force. Il n'a même pas été annoncé à l'unanimité car le procès verbal n'a pas été signé par tous les membres de la commission. Il y a eu beaucoup d'affrontement au sein de cet organe qui a longtemps tergiversé pour remettre les résultats. Quoi qu'il en soit, la décision finale n'apparaît pas très correcte et légale. Mais aujourd'hui, il n'y a pas de possibilité de vérification car rien n'est transparent dans la procédure de dépouillement ou dans les chiffres. Ces derniers apparaissent très partiels et on n'a même pas de chiffre de la participation. Rien n'est correct dans ces résultats.

Après 41 ans de règne sans partage, on attendait beaucoup de la première élection réellement pluraliste du Gabon. Est-ce un espoir déçu ?
On a le témoignage de Marc Oma, un leader tout à fait reconnu de la société civile, qui dit que la victoire d'Ali Bongo était déjà annoncée avant même le dépouillement. C'est dans la continuité totale des années précédentes. C'est ça qui est le plus désolant, l'absence de changement dans les pratiques de fraude, de mainmise sur tous les organes du pouvoir, de la justice à la commission électorale. Avant les élections, Ali Bongo ne voulait même pas démissionner de son poste de ministre de la défense. Il a fallu qu'il y soit contraint, mais en fait c'est resté formel. Il détenait toujours tous les rouages du pouvoir pendant la campagne.

Les manifestants s'en prennent notamment aux "intérêts français" au Gabon. Pourtant Paris s'est défendu de toute ingérence.
Les Français peuvent croire les déclarations d'Alain Joyandet [secrétaire d'Etat chargé de la coopération et de la francophonie] selon lesquelles la France est restée neutre. Mais les Gabonais y voient une sacrée plaisanterie. Pour eux la présence des intérêts français est tellement évidente dans leur pays. La présence écrasante du contingent français reste intimidante pour les manifestations de l'opposition. Il y a aussi des intérêts dans le pétrole, le bois et l'uranium. Bolloré vient par exemple de créer une société de service et de transport pour aider les entreprises à venir exploiter les ressources du Gabon, notamment les entreprises chinoises. Et c'est Pascaline Bongo qui est présidente de cette société. On voit bien là les intrications d'intérêt des Français avec le clan Bongo.

Là encore, pour vous on est dans une certaine continuité, mais quel est l'intérêt de la France à voir au pouvoir un candidat plutôt qu'un autre ?
La France a envoyé des observateurs complaisants qui ont déclaré avant même le moindre contrôle que les élections s'étaient bien passées. Un certain nombre de proches de Bongo sont venus se faire "briefer" en France avant les élections. De toute façon se sont des gens qui passent toutes les semaines en France, qui y ont des résidences, des proches. Leur staff est français. Tout ceci est dans la continuité d'une complicité qui repose sur beaucoup de trafics inavouables. Il n'y a pas que les activités commerciales "normales" comme le bois où le pétrole. Il y a tout le système occulte des commissions et rétro-commissions. S'il y avait un changement, beaucoup de choses pourraient être déterrées. Avec Bongo, il n'y aura aucun changement.
Propos recueillis par Antonin Sabot

Gabon : Coup de force françafricain

Communiqué de Survie, 4 septembre2009
Alors que les Gabonais aspirent à la démocratie et au changement après les 41 ans de gabegie du règne d’Omar Bongo, Ali Ben Bongo, fils du précédent, vient, non sans difficulté, d’être déclaré vainqueur de l’élection présidentielle au terme d’une mascarade électorale et d’un coup de force qui vise à prolonger la mainmise du clan Bongo sur le pays, avec la bénédiction des autorités françaises.

Ali Ben Bongo, fils et ex-ministre de la Défense d’Omar Bongo, également visé en France par une plainte sur les “ biens mal acquis ”, a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle gabonaise du 30 août dernier avec 41,73% des voix devant ses deux principaux concurrents André Mba Obame (25, 88%) et Pierre Mamboundou (25, 22%). Annoncés non sans atermoiements par la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP, en grande partie composée de membres du Parti démocratique gabonais, au pouvoir) et surtout par l’actuel ministre de l’Intérieur (également PDGiste), ces résultats contredisent toutes les estimations qui donnent, procès-verbaux des décomptes de voix à l’appui, Ali Bongo loin derrière ses deux principaux concurrents. Mais c’était compter sans les faux PV et les PV falsifiés introduits à la Commission électorale. Afin de mener à son terme cette mascarade électorale, le régime a également dispersé avec violence les nombreux manifestants et responsables de l’opposition venus au siège de la CENAP s’assurer du bon décompte des voix. Aujourd’hui, la Garde présidentielle et l’armée quadrillent Libreville. La tension est extrême dans le pays. Exténués par 41 ans de dictature d’Omar Bongo et ulcérés par le coup de force d’Ali Bongo, la majorité des Gabonais n’entend pas se laisser abuser une fois de plus. Le consulat de France à Port Gentil a ainsi été incendié, tout comme un édifice du groupe français Total, symboles du soutien indéfectible de la France au régime Bongo depuis des décennies.

Quand Ali s'appelait encore Alain et était chanteur de charme


La France a prétendu être neutre “ La seule chose qu’elle fait dans cette élection, c’est d’aider au déroulement normal des opérations ” a déclaré le secrétaire d’Etat à la Coopération, Alain Joyandet. Sans doute trouve-t-il normales les conditions de la tenue de cette élection : organisation précipitée du scrutin, listes électorales gonflées, multiples violations du droit constitutionnel, énorme déséquilibre financier et médiatique entre les candidats qui, ailleurs, feraient crier au déni de démocratie. Dès le lendemain du vote, le même A. Joyandet a jugé le scrutin régulier alors que de nombreuses fraudes ont été dénoncées tant au Gabon que dans les ambassades à l’étranger. A l’ambassade du Gabon en France par exemple, l’ambassadrice a même été prise la main dans le sac, en possession de plusieurs dizaines de fausses cartes d’électeur.

Est-ce être neutre que laisser Robert Bourgi, conseiller notoire de Nicolas Sarkozy pour la diplomatie parallèle, ainsi que d’autres ressortissants français en vue au Gabon soutenir Ali Bongo ? Alors que dans le même temps A. Joyandet menace les Gabonais : “ si par malheur, les ressortissants français venaient à être inquiétés, il y aurait une quasi-automaticité d’intervention de nos troupes basées sur place.[…] il y a assez peu de probabilité que l’armée française quitte le Gabon.”



L’association Survie attire l’attention des dirigeants français sur la lourde responsabilité qui est la leur dans la détérioration de la situation au Gabon. A force de vouloir figer le pouvoir gabonais aux mains d’un clan complice des intérêts transnationaux les plus voraces, la France s’aliène la majorité du peuple gabonais.

L’association Survie demande aux autorités françaises de ne pas reconnaître l’élection d’Ali Bongo et de ne pas cautionner la prise du pouvoir par ce qui constitue un véritable un coup d’Etat électoral. Nous attendons du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner la même résolution dans la défense des principes démocratiques qu’il a montrée lors d’autres élections dans le monde, le même soutien à une opposition écrasée et bafouée dans ses revendications. Nous ne voulons pas que notre pays apparaisse comme le fidèle soutien de régimes despotiques indéfiniment reconduits.
Nous demandons au gouvernement français de s’assurer que les militants gabonais de la démocratie et des droits de l’Homme seront préservés de la répression qui risque de s’abattre sur eux comme sur tous ceux qui luttent pour le droit et la justice. Nous assurons les citoyens gabonais qui défendent leurs droits de notre solidarité dans leurs revendications.

En Mauritanie, au Niger, à Madagascar, nous assistons à un recul des acquis démocratiques, tandis qu’au Congo Brazzaville, au Cameroun, au Tchad les vieilles dictatures sont confortées. Le risque est grand de voir surgir au Gabon le même scénario qu’au Togo depuis 2005 : élection truquée, coup d’Etat électoral, répression des contestations, puis normalisation diplomatique validant une succession dynastique de Faure Gnassingbé après 38 ans de règne d’Eyadéma père. Tout cela, avec la complicité de la France, dans la droite ligne de la triste politique françafricaine avec laquelle le candidat Nicolas Sarkozy voulait rompre. Politique qu’il prétend maintenant camoufler sous des gesticulations médiatiques comme celle qui s’annonce en 2010, décrétée « année de l’Afrique » : “ année importante pour la relation entre l’Afrique et la France alors que 14 anciennes colonies françaises célèbreront le cinquantième anniversaire de leur indépendance. (…) Et je souhaite que 2010 signale aussi l’achèvement d’une rénovation profonde de nos relations avec le continent africain ”. Certains Français en seront peut-être dupes, pas les peuples africains.

Contact presse : Olivier THIMONIER
olivier.thimonier@survie.org Tél. : 01 44 61 03 25

Bongo Bis vu par le dessinateur gabonais Pahé......et par le dessinateur burkinabè Damien Glez

mercredi 2 septembre 2009

Processus d’appropriation foncière de terres agricoles au Sud… La recherche fait le point

Les investissements fonciers à grande échelle : Quelles réalités ? Quelles conséquences pour l’agriculture familiale et quels choix en termes de politiques de développement ?
Jeudi 3 septembre 2009 à partir de 8h 30
Cirad, campus de Lavalette, amphithéâtre Jacques Alliot (Bâtiment 4)
Avenue Agropolis, MONTPELLIER
Programme provisoire :

Introduction

8h30 : Patrick Caron directeur scientifique du CIRAD ES- Mots de bienvenue

8H40 : André Teyssier CIRAD – Introduction « attendus de la journée, bref état des états des lieux des différentes études en cours, et présentation du programme »

Session 1 : les investissements fonciers en cours ou annoncés : un phénomène nouveau ?

Président de séance : Léonidas Hitimana Club du Sahel OCDE

9h00-9h20 : Paul Mathieu (FAO)
« Enjeux socio-économiques et politiques des transformations foncières résultant des investissements fonciers à grande échelle (principalement en Afrique); mise en perspective historique et scénarios».

9h20-9h30 : Questions et débat

9h30-9h50 : Etienne Le Roy (U. Paris I)
« Propriété des terres, propriétés des mots».

9h50-10h00 : Questions et débat

10h-10h15 : Pause

Session 2 : « Etats des lieux et caractéristiques des projets annoncés sur la base d’études récentes multi-pays»

Président de séance : Léonidas Hitimana Club du Sahel OCDE

10h15- 10H35 : Lorenzo Cotula (IIED)
“Les projets d'investissements fonciers annoncés dans 5 pays en Afrique : leurs motifs, leurs caractéristiques et les enjeux associés pour les populations, les Etats et les investisseurs - enseignements de l’étude IIED – FAO – IFAD : Land grab or development opportunity ? »

10h35-10h45 : Questions et débat

10h45- 11H05 : Harris Selod (INRA – Banque Mondiale)
« The acquisition of land rights for large-scale agricultural production in developing countries. Preliminary results from a World Bank study”

11h05-11h15 : Questions et débat

Session 3 : « Gouvernements, investisseurs et paysans : au-delà des logiques, des alliances et jeux concurrentiels en questions "
[Interventions : 20 mn + 5mn discussions + 15 mn débat]

Président de séance : Camilla Toulmin (IIED)

11h15-11h55 : Catherine Clegeay-Guillon (Inalco) – Présence non confirmée
“Les stratégies des entreprises chinoises en Afrique”

Discutant : Mike Taylor (International Land Coalition)

11h55-12h35 : André Teyssier (CIRAD) et Landry Ramarojohn (Programme National Foncier)
« Daewoo, Varun et les autres : des tentatives d’appropriation à grande échelle face à une nouvelle politique foncière »
Discutant : représentant de privés

12h35-13h05 : Alain Karsenty (CIRAD)
« Néo-colonialisme agraire ou « éco-colonialisme » vert ? La question des forêts tropicales dans la compétition pour l’acquisition de terres ou de leurs droits d’usage »

Discutant : H. Ouedraogo (GRAF) – Présence non confirmée

Pause- déjeuner

Session 4 : Dynamiques d’investissement foncier agro-industrielles et agriculture familiale
Président de séance : Lionel Vignacq (MAEE)

14h30 – 15h10 : Sergio Leite (Université Fédérale de Rio)
« Dynamiques foncières au Brésil »

Discutant : Eric Léonard (IRD)

15h10 – 15h50 : Mustafa Errahj (Ecole Nationale d’Agriculture, Meknès, Maroc)
« Questions foncières et recompositions des périmètres irrigués au Maghreb »

Discutant : Bertrand Hervieu (CIHEAM)


15h50 – 16h10 : pause

16h15 – 17h30 : Table ronde
Table ronde / Animation : Philippe Lavigne Delville GRET. Thèmes à définir
Participants :
K. Deininger (Banque Mondiale ; présence non confirmée),
Alain Durand Lasserve (CNRS),
Aden Aw-Hassan (ICARDA)
Ward Anseeuw (Cirad),
Michel Merlet (AGTER),
Moussa Djiré (Université des Sciences Politiques et Juridiques de Bamako) ;
Harold Liversage (FIDA).
M. X. Briand (Biotechmarine, présence non confirmée)
Représentant d’1 ONG (présence non confirmée),

17h30- 18h : Vatché Papazian (AFD)
Conclusion : synthèse, orientations en termes de développement et questions posées à la recherche

Plan d'accès :
http://www.cirad.fr/fr/le_cirad/plan/PlanDaccesCIRAD.html

Communiqué des organisateurs :
Les processus d’appropriation foncière qui se multiplient dans les pays du Sud inquiètent l’opinion publique. Aussi, en association avec les institutions internationales et plusieurs universités et centres de recherches français et étrangers, le Cirad organise, à Montpellier le 3 septembre 2009, une « Journée Foncier ». Objectif : partager et débattre des informations sur ces dynamiques d’investissement et leurs enjeux en termes de développement.
« Ce n’est pas un phénomène nouveau, explique d’emblée Jean-Philippe Tonneau* : depuis la colonisation, les concessions à des groupes ou des particuliers de terres, l’achat ou la prise en location de terres agricoles en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie sont courants. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’ampleur du phénomène, l'apparition de nouveaux acteurs et la médiatisation plus grande de ces processus». Les chercheurs insistent également sur l’écart entre l’écho médiatique de ces supposés prises de contrôle du foncier et la réalité sur le terrain.
« Nous devons faire l’état des lieux de ce qui se passe réellement sur le terrain, expliquer les motivations des investisseurs et des pays hôtes, ajoute Perrine Burnod**. Il faudra identifier les impacts effectifs ou potentiels pour les différentes catégories d’acteurs concernés, notamment pour les populations rurales, et, en fonction de cela, discuter des alternatives en termes de politiques publiques. »
Fournir une information et des analyses de qualité
Avec la participation d’institutions internationales, notamment la FAO pour la rédaction de codes de bonne conduite, les scientifiques se proposent de faire le point sur les différents travaux et recherches sur le sujet. Il s’agit d’aider à la construction de cadres d’analyse communs afin de fournir à la communauté internationale, aux sociétés concernées et aux décideurs publics, une information et des analyses de qualité au niveau national comme au niveau le plus local. « Les gouvernements ont leur stratégie face aux investisseurs », poursuivent les chercheurs. Ils font en effet face à de fortes tensions sociales, économiques et politiques liées à l’emploi, à la sécurité alimentaire, aux agrocarburants, à la biodiversité. « Nous pouvons analyser les implications des différents modèles de développement retenus ou possibles – avec une priorité plus ou moins forte à l’agriculture familiale et plus largement aux populations rurales- afin de donner aux décideurs des analyses complètes sur lesquelles ils pourront baser leurs choix pour la promotion de l’agriculture familiale et l’agrobusiness, l’aménagement du territoire, la gestion des ressources naturelles». Les chercheurs souhaitent ainsi consolider le réseau scientifique sur le foncier existant au Cirad et renforcer les liens avec les institutions de recherche et de développement investies sur cette thématique. L’impact sur les populations locales : une priorité pour la recherche
Les impacts potentiels de ces dynamiques foncières pour les gouvernements des pays hôtes, les investisseurs et, en priorité, les populations locales sont à étudier. Les terres convoitées sont en effet susceptibles d’être déjà occupées par des exploitations familiales, des pasteurs ou jouer un rôle majeur dans la gestion des ressources naturelles (eau, bois énergie, faune et flore). Les gouvernements hôtes vont-ils réellement parvenir à dynamiser leur économie par l’accueil de ces investisseurs ou s’exposer à des fortes réactions sociales ? Les investisseurs vont-ils effectivement réaliser leur projet ? Dans quelle mesure ces derniers pourront-ils avancer sans avoir obtenu une légitimité sociale minimale ? Quel est ou sera le devenir des populations rurales, généralement pauvres et peu organisées, face aux projets d’investissement agro-industriel à grande échelle ? Dans un contexte de changement potentiel des modalités d’accès aux ressources et de fonctionnement des marchés locaux, pourront-elles retirer des bénéfices de ces projets et non se retrouver contraintes à l’exode rural ? Si tel est le cas, sous quelles conditions ? Produire des connaissances validées par la rigueur des méthodes scientifiques constitue donc tout l’enjeu de la journée du 3 septembre organisée autour de conférenciers présentant des synthèses et des études de cas. Une table ronde réunira des acteurs de la recherche, de la société civile et des agences d’aide.
* Jean-Philippe Tonneau, chercheur CIRAD de l’UMR (Unité mixte de recherche) Tetis (Territoires, environnement, télédétection et information spatiale)
**Perrine Burnod, chercheuse au Cemagref travaillant en partenariat avec le Cirad (Unité propre de recherche Biomasse-énergie)
Contacts scientifiques : André Teyssier,
andre.teyssier@cirad.fr
Ward.anseeuw, ward.anseeuw@cirad.fr
Jean-PhilippeTonneau, jean-philippe.tonneau@cirad.fr
Perrine Burnod, perrine.burnod@cemagref.fr
Contact presse : Florence Vigier, florence.vigier@cirad.fr

mardi 1 septembre 2009

Génocide des Tutsi rwandais : L’attentat du 6 avril 1994 ? Une manipulation de A à Z


Témoignage de Jean-François Dupaquier, écrivain, journaliste et président de l´association Memorial international
Bilets d'Afrique, septembre 2009


Le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière avait été chargé d’identifier et de poursuivre les responsables de l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali (Rwanda) qui avait coûté la vie au président rwandais Juvénal Habyarimana et donné le signal de l’extermination des Tutsi. Son ordonnance s’appuie lourdement sur les « pièces à conviction » de Richard Mugenzi, espion radio, supposé avoir intercepté, le 7 avril 1994, des messages où le Front patriotique rwandais revendiquait l’attentat. Aujourd’hui, Richard Mugenzi affirme que ces messages de revendication avaient été inventés de toutes pièces par les extrémistes hutus, sans doute pour dissimuler leur propre responsabilité dans l’attentat. Des révélations qui fragilisent singulièrement la thèse du juge français.
Billets d’Afrique : - Jean-François Dupaquier, le journal Le Monde a révélé que vous avez rencontré l’un des témoins qui semblaient avoir convaincu le juge Jean-Louis Bruguière de la responsabilité du Front patriotique rwandais (FPR) dans l’attentat du 6 avril 1994 - attentat qui a coûté la vie au président rwandais Juvénal Habyarimana et qui a servi de déclencheur au génocide de 1994 au Rwanda. Selon Le Monde, le Nouvel Observateur, Le Soir de Bruxelles, l’Agence France-Presse et d’autres médias, ce témoin, Richard Mugenzi, contrairement à la thèse développée par le juge Bruguière, semble aujourd’hui innocenter le FPR de cet attentat. Dans quelles conditions avez-vous recueilli ce témoignage qui fait grand bruit, et quelles sont ses conséquences ?
Jean-François Dupaquier : - Retrouver Richard Mugenzi n’a pas été facile, et je remercie le juge Bruguière de m’y avoir involontairement aidé. Voici dans quel contexte : depuis plusieurs années je travaille à la rédaction d’un livre sur les origines du génocide de 1994 qui a vu l’extermination d’environ un million de Tutsis et de nombreux Hutus démocrates. Aussi bien comme journaliste-écrivain que comme témoin expert et consultant auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR, tribunal chargé depuis 1994 d’identifier et de juger les principaux « génocidaires »), j’ai un accès relativement aisé aux audiences publiques du tribunal à Arusha (Tanzanie). Le procès le plus remarquable est celui où ont comparu ensemble le colonel Théoneste Bagosora, considéré comme l’architecte du génocide, et de plusieurs officiers supérieurs rwandais dont son bras droit, le colonel Anatole Nsengiyumva. Ce procès a nécessité plusieurs centaines de journées d’audiences. Il représente des dizaines de milliers de pages de procès-verbaux et documents divers. Il a fait défiler des témoins-clefs du génocide de 1994.
J’ai été impressionné par la longue déposition en 2002 d’un homme dont l’identité était l’objet d’une protection extraordinaire, au point que son audition a été en partie « caviardée ». Sous le pseudonyme de ZF et caché derrière un rideau, il a fourni un témoignage accablant sur l’organisation du génocide dans Gisenyi, ville frontalière du Zaïre, qui était le foyer des extrémistes hutus de l’époque. Malgré ce « caviardage », il apparaissait que ZF était un opérateur recruté dès octobre 1990 par les forces armées rwandaises pour intercepter les messages radio des rebelles du Front patriotique rwandais.
Il m’a paru indispensable de le rencontrer dans le cadre de mes recherches, mais malgré mes efforts, je ne parvenais pas à l’identifier. Au TPIR, son nom figurait parmi les secrets les mieux gardés de l’équipe de « Protection des témoins ». Personne ne voulait risquer sa place pour m’informer de son nom et de son adresse.
En novembre 2006, lorsque le juge Jean-Louis Bruguière a diffusé le texte de son ordonnance (que chacun peut trouver sur internet) accusant neuf hauts gradés de l’armée rwandaise d’avoir été les principaux organisateurs de l’attentat du 6 avril 1994, il a cité le nom du principal témoin à charge : Richard Mugenzi, opérateur radio à Gisenyi (page 30). Ce faisant, le juge antiterroriste semble avoir violé un engagement vis-à-vis du Tribunal pénal international : on l’avait autorisé à interroger Richard Mugenzi en 2001 à Arusha, à la condition qu’il préserve son anonymat. Mais il s’agit à mon avis de la moindre des anomalies de l’instruction menée par Jean-Louis Bruguière. En tout cas, ça m’a permis de mettre un nom sur l’homme que je voulais interviewer depuis tant d’années. Il m’a ensuite fallu trois ans pour le retrouver. Sans entrer dans les détails, j’ai réussi à localiser Richard Mugenzi le 29 mai 2009. Nous avons convenu d’une interview le 31 mai. C’est au cours de cette interview qu’il m’a révélée que Jean-Louis Bruguière s’était fourvoyé en utilisant son témoignage pour accuser le Front patriotique rwandais de l’attentat.
Billets d’Afrique : - Pouvez vous expliquer en quoi le témoignage de Richard Mugenzi est tellement important ?
Jean-François Dupaquier : - Richard Mugenzi est mentionné dans les pages 29, 30, 31, 51 et 52 de l’ordonnance Bruguière. C’est dire si le juge « antiterroriste » lui attachait de l’importance. Le 7 avril 1994 vers 8 heures 45 le matin, Richard Mugenzi est supposé avoir intercepté un message radio du Front patriotique rwandais revendiquant l’attentat commis 12 heures plus tôt à Kigali. Ce message est diffusé « en clair », contrairement aux habitudes de « codage » du Front patriotique rwandais et, faut-il le dire, de toutes les armées en guerre. Il disait à peu près ceci : « L’invincible (surnom que ses courtisant avaient donné au président Juvénal Habyarimana) est mort dans son avion, les gorilles (Hutus) ont perdu, les bergeronnettes (Tutsi) ont gagné, la victoire est proche, félicitations à l’Escadron renforcé, la guerre reprend. Etc. »
Richard Mugenzi aurait ensuite transcrit trois autres messages, toujours diffusés en clair, au milieu de nombreux messages codés, et qui « confirmaient » que le Front patriotique rwandais était bien l’auteur de l’attentat, puisqu’il le revendiquait et même s’en glorifiait.
Billets d’Afrique : - Donc, il ne pouvait pas y avoir la moindre ambiguïté sur les responsables d’un attentat qui a causé la mort du président rwandais, celle du président du Burundi qui l’accompagnait, de plusieurs ministres et hauts fonctionnaires, ainsi que de trois Français : le pilote, le copilote et le mécanicien ? Et déclenché le génocide ?
Jean-François Dupaquier : - Avec ces quatre télégrammes de revendication, le juge Jean-Louis Bruguière pensait détenir la preuve absolue de la responsabilité du FPR dans l’attentat.
Je dois reconnaître que depuis son ordonnance du 17 novembre 2006 et les révélations qui avaient filtré sur son instruction, le contenu de ces prétendus messages m’avait troublé. Depuis sa création en 1988, le Front patriotique rwandais revendiquait un refus viscéral du racisme du régime Habyarimana qui s’appuyait sur des « quotas ethniques » entre Hutus et Tutsis. Le mouvement rebelle – en majorité tutsi - condamnait un apartheid qui n’était plus en vigueur qu’au Rwanda et en Afrique du Sud. Ses membres refusaient de se dire Hutus ou Tutsis, se proclamant « uniquement Rwandais ». Il était donc étrange qu’au lendemain de l’attentat du 6 avril le FPR diffuse - qui plus est en clair - des messages stigmatisant les Hutus qualifiés de « gorilles » par opposition à des Tutsi assimilés à ces élégants oiseaux que sont les bergeronnettes. Comme co-auteur de livre « Les médias du génocide », je suis bien placé pour savoir que c’est la presse des Hutus extrémistes de l’époque qui prétendait que le FPR considérait l’ensemble des Hutus comme des « gorilles », et diffusait des caricatures de ce type.
Cette question des quatre télégrammes du 7 avril ne mobilisait pas toute mon attention car l’attentat contre l’avion d’Habyarimana n’est pas à l’origine du génocide, comme j’espère l’expliquer dans un prochain livre. Mais je m’étais promis d’interroger Richard Mugenzi sur ce point. J’ai commencé par lui demander si, durant ses quatre années d’interceptions des messages du FPR, il avait relevé des mentions de divisions ethniques Hutus-Tutsis. Il m’a répondu que non. Je lui ai alors lu les quatre messages supposés interceptés de radios-opérateurs du FPR le 7 avril. C’est alors qu’il m’a fait cet aveu : ces messages n’étaient pas interceptés du FPR mais lui ont été dictés par le colonel Anatole Nsengiyumva. En pratique, Nsengiyumva, l’un des hauts gradés les plus extrémistes, lui a tendu un morceau de papier et lui a demandé de le recopier comme s’il s’agissait d’un message qu’il avait intercepté du FPR. J’avoue avoir été stupéfait par cette révélation. Je lui ai lu ensuite les trois autres messages et il m’a fait la même réponse.
Billets d’Afrique : - Quelle conclusion tirez-vous de cette déclaration de Richard Mugenzi ?
Jean-François Dupaquier : - La révélation de l’ancien espion radio éclairait d’un seul coup cet épisode : on se trouvait en face d’une manipulation délibérée. Exactement 12 heures après l’attentat, le colonel Nsengiyumva, adjoint direct et complice du colonel Bagosora (comme l’a montré le jugement du Tribunal pénal international intervenu en février dernier les condamnant tous deux à la réclusion à perpétuité), a cherché à faire croire que l’attentat avait été commis par le FPR en inventant un faux bordereau.
Billets d’Afrique : - Vous n’aviez pas imaginé auparavant une telle manipulation ?
Jean-François Dupaquier : - Je savais depuis les audiences du procès Bagosora en 2002 qu’à Gisenyi se trouvait un centre d’espionnage radio considéré comme « très performant ». Je découvrais que les militaires français avaient joué un rôle dans ce centre, et que Richard Mugenzi avait bénéficié d’une formation à l’espionnage radio par ces militaires français. Mais en tant que journaliste je n’ai jamais eu à traiter dans ma carrière de questions relatives à l’espionnage et je me suis brutalement rendu compte que le centre d’espionnage de Gisenyi constituait également un centre de désinformation, que la désinformation est un des volets de l’espionnage. Je n’avais sans doute pas lu avec assez d’attention le livre de Gabriel Peries et David Servenay, « Une Guerre Noire » qui traite notamment de cet « apport » des militaires français au Rwanda, dans la droite ligne des méthodes utilisées durant la guerre d’Algérie….
Richard Mugenzi m’a confirmé dans la même interview qu’à d’autres occasions le colonel Nsengiyumva lui avait dicté de prétendus messages qu’il aurait interceptés de radio du FPR et qui n’étaient que des opérations de désinformation.
Billets d’Afrique : - Quelle était la finalité des faux messages du FPR ?
Jean-François Dupaquier : - Tous ceux qui sont un peu informés de la tragédie rwandaise savent que les extrémistes hutus ont ensuite ressassé le message suivant, notamment sur les ondes de la Radio-Télévision des Mille Collines (RTLM) : « Les Tutsi du FPR ont tué le Père de la Nation, tous les Tutsis méritent la mort pour cela ». Une propagande qui a radicalisé les masses hutues et les a poussés avec plus d’énergie que jamais à exterminer leurs voisins tutsis, hommes, femmes enfants, vieillards, tous sans exception… Et avec d’autant plus d’efficacité que la population était depuis longtemps travaillée par une propagande de la haine et encadrée par des milices elles-mêmes armées et entraînées à tuer. On comprend donc que les faux messages faisaient partie d’un dispositif sophistiqué pour aboutir au génocide des Tutsis, en diabolisant ces derniers et en cherchant à transformer en tueurs les Hutus.
Billets d’Afrique : - Mais alors, pourquoi Richard Mugenzi a-t-il menti au juge Bruguière lorsque celui-ci l’a interrogé à Arusha ?
Jean-François Dupaquier : - Sur le moment, j’ai été tellement surpris de la révélation que j’ai oublié de poser cette question évidente. J’ai rappelé Richard Mugenzi plus tard. Il m’a alors expliqué que lorsqu’il avait témoigné au TPIR en 2002 contre Bagosora et Nsengiyumva, personne ne lui avait posé de questions sur ces fameux télégrammes. On sait que pour le Parquet du TPIR, le scénario de l’attentat du 6 avril 1994 est un sujet tabou, le juge Bruguière a suffisamment glosé là-dessus dans son ordonnance – à juste titre. Et dans le cadre du contre-interrogatoire du témoin qui les accablait sur leur rôle dans le génocide à Gisenyi, pas plus Bagosora que Nsengiyumva n’a levé ce lièvre, on comprend à présent pourquoi.
Jean-Louis Bruguière affirme avoir interrogé Richard Mugenzi le 5 juin 2001 (page 52). Il n’aurait en fait jamais interrogé ce témoin qu’il décrit pourtant comme capital. Richard Mugenzi dit n’avoir été prévenu qu’une demi-heure auparavant de son audition par l’équipe du juge à Arusha. Il dit s’être retrouvé face à un policier français qui se serait contenté de lui faire reconnaitre son écriture sur la transcription des soi-disant messages du FPR, sans même se donner la peine de lui demander s’il s’agissait de transcriptions authentiques. Je vous livre la version de Richard Mugenzi. Il serait intéressant de lire ce PV d’audition dans le dossier Bruguière, malheureusement couvert par le secret de l’instruction.
Billets d’Afrique : - Vous évoquez de possibles carences des policiers entourant le juge Jean-Louis Bruguière. Pouvez-vous être plus clair ?
Jean-François Dupaquier : - Il semble que l’instruction ait été menée uniquement à charge, dans une seule direction, avec un coupable désigné très tôt : le FPR. En voici un exemple. On s’aperçoit à la lecture de l’ordonnance que parmi les témoins du juge se trouve un journaliste rwandais que j’ai bien connu, Jean-Pierre Mugabe. Dans son périodique, Le Tribun du Peuple, il a publié un long article au Rwanda accusant quatre membre de sa garde présidentielle d’avoir assassiné Habyarimana. Un hypothèse aussitôt réfutée par Bruguière. Plus tard, réfugié aux Etats-Unis, Mugabe accuse cette fois le FPR d’avoir commandité l’attentat. Le juge semble exulter et pérore sur cette nouvelle piste, forcément la bonne. Sans se demander si ce témoin qui dit tout et son contraire reste crédible.
Billets d’Afrique : - C’est un détail !
Jean-François Dupaquier : - Eh bien, parlons d’indices plus importants, comme la fameuse boîte noire du Falcon présidentiel. Comme le journaliste Patrick de Saint-Exupéry l’a révélé dans Le Monde du 8 avril dernier, ce fameux « enregistreur des voix du cockpit » retrouvé dans des conditions mystérieuses après l’attentat a été identifié par des spécialistes comme la boîte noire d’un Concorde. Elle aurait été détournée sur le tarmac de l’aéroport de Roissy en France, vraisemblablement dans un atelier de maintenance, et ensuite trafiquée pour contenir l’enregistrement de conversations sur le tarmac de Kigali. Elle aurait été substituée à la « vraie » boîte noire du Falcon 50 présidentiel qui, elle, n’a jamais été retrouvée.
Il n’est pas difficile de deviner à quels "services" peut appartenir la personne qui a commis une manipulation à la fois aussi subtile et aussi stupide. En avril 1994, confrontés au génocide et à la reprise de la guerre, les militaires du Front patriotique rwandais avaient d’autres préoccupations et sûrement pas cette capacité de falsification des indices.
Cette boîte noire est donc un leurre, mais il paraît que la police antiterroriste n’a pas cherché à savoir qui a volé, transporté et déposé ce faux indice à l’endroit approprié : le lieu du crash.
Troisième faux indice, les deux lance-missiles retrouvés le 24 ou le 25 avril sur une colline proche de l’aéroport de Kigali dans des conditions plus que douteuses. Le juge Jean-Louis Bruguière se réfère longuement à ces deux tubes lance-missiles qui ont malheureusement disparu ensuite, en posant comme postulat qu’ils ont servi à l’attentat à contre l’avion présidentiel.
Les députés français dans le cadre de la « Mission d’information Quilès » de 1998 avaient observé que la photographie d’un des deux tubes lance-missiles, livrée par les militaires rwandais en mai montrait que celui-ci avait encore ses deux bouchons, qu’il était neuf et ne pouvait donc avoir servi. Le juge Bruguière ne mentionne même pas cette remarque de bon sens. Il perd toute capacité critique chaque fois qu’on lui présente une « preuve » visant à faire porter le chapeau au Front patriotique rwandais.
Billets d’Afrique : - Comment et comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?
Jean-François Dupaquier : - Dans son ordonnance, le juge Bruguière observe (pages 40 à 43) que le FPR possédait dès son offensive d’octobre 1990 des missiles SAM 7 et SAM 16 - ce qui est attesté par de nombreuses sources, fiables et concordantes. Ceux qui ont observé la guerre civile au Rwanda, engagée le 1er octobre 1990 par l’incursion du Front patriotique rwandais savent que ce dernier avait détourné une gamme d’armes lourdes des stocks de l’armée ougandaise, dont un nombre important de missiles sol-air vendus en 1987 à l’Ouganda par l’ex-Union soviétique. Ces armes antiaériennes très efficaces visaient à compenser l’infériorité stratégique des rebelles qui opéraient en terrain quasi-désertique, presque sans couverture végétale, à la merci des six hélicoptères Gazelle armés de mitrailleuses et de missiles des Forces Armées Rwandaises, lesquels se sont révélés terriblement efficaces contre eux.
J’ai interrogé à ce sujet James Kabarebe, chef d’état-major de l’Armée patriotique rwandaise (APR). Il m’a raconté comment en octobre 1990 sa colonne rebelle motorisée avait été pratiquement anéantie. Un hélicoptère Gazelle, ayant violé l’espace aérien tanzanien, l’avait surpris en plein jour, incendié à la mitrailleuse tous les véhicules et fait de nombreux morts et blessés.
Pourtant, jusqu’à l’attentat du 6 avril 1994, pendant quatre années de guerre, aucun aéronef des forces armées rwandaises n’a été abattu ou endommagé par un missile.
Billets d’Afrique : - Jean-Louis Bruguière dit tout le contraire dans son ordonnance. Il multiplie les témoignages de pilotes français et rwandais affirmant que des aéronefs des FAR ont été abattus par des missiles type SAM…
Jean-François Dupaquier : - On comprend la raison de cette accusation qui conforte la thèse du juge : elle prouverait que le FPR était aguerri au maniement de SAM et que la destruction du Falcon 50 d’Habyarimana n’était pas le premier « fait d’armes » de ce type. Et pourtant le juge Bruguière se trompe. Le FPR n’a pas abattu le moindre aéronef à l’aide de missiles durant les quatre années de guerre civile.
Billets d’Afrique : - Quelle preuve apportez-vous que le juge se trompe dans son ordonnance ?
Jean-François Dupaquier : - Le juge Bruguière allègue qu’un hélicoptère et un avion d’observation ont été abattus par des missiles du FPR en octobre 1990 et début 1991. Cette allégation est contredite par une note du général Quesnot, chef de l’état-major particulier du président Mitterrand, à ce titre destinataire de tous les rapports de l’Attaché de Défense à Kigali ainsi que des rapports des services de Renseignements au Rwanda. Dans cette note adressée au président de la République datée du 23 mai 1991 et que chacun peut consulter dans le fonds d’archives Mitterrand, le général Quesnot s’inquiète effectivement des missiles du FPR mais ne mentionne aucun aéronef abattu par ce moyen. Au contraire il s’inquiète « d’un cas concret de prolifération anarchique de missiles sol-air, armement présentant de grands dangers pour tout type d’aéronef civil ou militaire ».
Billets d’Afrique : - A quelle occasion cette note a-t-elle été émise ?
Jean-François Dupaquier : - C’est là que ça devient intéressant. Lors d’une offensive du FPR les 17 et 18 mai 1991 au nord-est du Rwanda, les rebelles ont subi une cuisante défaite. Ils fuient en abandonnant des stocks de matériel. Sur le champ de bataille, l’armée d’Habyarimana a notamment récupéré une série de missiles SAM 7 et SAM 16. Il y en a sans doute tellement que l’un de ces missiles SAM 16, tout neuf, dans son tube lanceur, est offert à l’Attaché de Défense de l’ambassade de France, ce qui explique la note du général Huchon.
Une partie des autres missiles que le juge Bruguière qualifie de « débris » - un terme inapproprié – est triomphalement exposée à l’Ecole Supérieure Militaire de Kigali, au vu et au su de tous. Le colonel Nsengiyumva, alors chef des services d’espionnage de l’armée rwandaise, s’intéresse personnellement à cette affaire, et c’est d’ailleurs normal, vu sa fonction. Ce qui et moins normal, c’est qu’ensuite ces missiles et tubes lance-missiles disparaissent. Le juge Bruguière et ses policiers ne se demandent pas ce qu’ils sont devenus. Et pourtant il est douteux que ces missiles, qui valent au total plusieurs millions de dollars, soient perdus pour tout le monde. Deux choses sont certaines :
1- Dans cette guerre civile où la récupération d’armes sur le champ de bataille joue un rôle important, on ne peut pas affirmer - comme le fait le juge Bruguière - qu’après le 18 mai 1991, les FAR ne disposent pas des missiles.
2- Inversement, après le 18 mai 1991, le FPR semble avoir perdu la totalité de son stock de missiles. Cette déduction vint du fait qu’aucun aéronef n’est abattu par le FPR à l’aide de missiles entre le 18 mai 1991 et le 6 avril 1994.
Il y a de sérieuses raisons de penser que les deux tubes lance-missiles bizarrement retrouvés le 24 ou le 25 avril 1994 à proximité du site présumé du tir contre le Falcon présidentiel font partie de ces soi-disant « débris » exposée durant plusieurs semaines à l’Ecole Supérieure Militaire de Kigali. Mais l’équipe du juge Bruguière ne semble pas avoir exploré cette piste qui conduirait, faut-il le souligner, du côté du colonel Anatole Nsengiyumva, l’inventeur des faux télégrammes de revendication de l’attentat par le FPR et le conservateur, à l’époque, des « débris ». Est-il besoin d’ajouter que le juge Bruguière et son équipe semblent s’être pris de passion pour le colonel Nsengiyumva qu’ils ont longuement interrogé dans sa prison d’Arusha, et dont ils faisaient grand cas, comme le racontent aujourd’hui des magistrats du TPIR qu n’en sont toujours pas revenus…
Billets d’Afrique : - Vous pensez que l’équipe de Jean-Louis Bruguière pourrait avoir été intoxiquée par les détenus d’Arusha, autrement dit les « grands génocidaires » ?
Jean-François Dupaquier : - Franchement, oui. Il suffit d’observer une autre anomalie, énorme : le choix par Jean-Louis Bruguière, comme son interprète, de Fabien Singaye, un ancien espion rwandais connu pour sa haine pathologique des Tutsi. Jusqu’au génocide, sous couvert d’un modeste poste de second secrétaire d’ambassade à Berne (Suisse), Fabien Singaye multipliait les rapports sur l’opposition démocratique rwandaise en exil. L’une de ses marottes était de dénoncer les diplomates et militaires rwandais qui avaient discrètement épousé des Tutsies, ce qui, évidemment, les discréditait aux yeux du régime. Après la découverte de ces rapports à l’ambassade et d’autres irrégularités, Fabien Singaye a été expulsé de Suisse à l’été 1994. Il est vrai qu’on l’accusait aussi d’avoir tenté de faire passer frauduleusement en Suisse son beau-père, Félicien Kabuga, le financier du génocide et de la RTLM, un des hommes les plus recherchés aujourd’hui encore par la justice avec Ousama Ben Laden, et avec la même prime pour sa capture : 25 millions de dollars.
Fabien Singaye a-t-il influencé l’enquête du juge Bruguière ? Il est légitime de se poser la question. Dans la plupart des États de droit, le choix comme interprète d’un individu aussi controversé suffirait à faire invalider l’ensemble de l’instruction.
Billets d’Afrique : - Au terme de vos investigations et de vous interrogations, que concluez-vous ?
Jean-François Dupaquier : - Les faux télégrammes revendiquant l’attentat du 6 avril 1994 au nom du FPR font irrésistiblement penser au faux bordereau de l’Affaire Dreyfus à la fin du XIXe siècle en France. Il faut se méfier des anachronismes et des amalgames, mais je suis frappé des similitudes entre ce qu’il faut dorénavant appel « l’Affaire Bruguière » et l’Affaire Dreyfus. Je suis Français, j’aime mon pays, mais parfois « il me fait mal ». Sous couvert de secret d’État, de Secret Défense, de secret de l’instruction on voit périodiquement se développer une sorte d’abcès politico-judiciaire comme un psychodrame collectif nourri aux pires pulsions. Ici le Juif, forcément traître, forcément ignoble, forcément coupable, là le Tutsi, décrit par les journalistes et écrivains qui « servent la soupe » au juge Bruguière, comme des êtres biologiquement fourbes, rapaces, d’une cruauté et d’un cynisme sans limites. Il faut relire la partie de l’ordonnance du magistrat Bruguière supposé agir « au nom du Peuple français » où il accuse la rébellion du FPR d’avoir programmé l’extermination des Tutsi du Rwanda afin de conquérir un pouvoir sans partage. Que dirait-on d’un homme qui accuserait les Juifs d’avoir poussé Hitler à la Shoah pour obtenir l’État d’Israël ? Mais ici nous parlons de l’Afrique noire, autant de peuples sur lesquels on peut encore, en France, déblatérer en toute impunité. Combien se sont levés pour crier leur indignation ? Quel Garde des Sceaux, depuis le 17 novembre 1996, a demandé au Conseil supérieur de la Magistrature de se saisir de « l’Affaire Bruguière » ?
On se souvient que les premiers démocrates qui se sont levés pour crier l’innocence de Dreyfus ont été accusés d’être des éléments antinationaux, « l’anti-France », exactement comme ceux qui ont osé critiquer l’enquête Bruguière, par tels écrivains stipendiés. On se souvient que, portés par leur passion antisémite mais aussi par une conception singulièrement corporatiste et bornée de « l’honneur de l’armée », des juges ont condamné deux fois Dreyfus en violation de l’évidence, en violation de tous ses droits, et innocenté Esterahazy, que tous savaient coupable. Est-il besoin d’ajouter qu’on devine aujourd’hui qui est l’Esterhazy de l’attentat du 6 avril 1994, et qui sont ses complices ? Et qu’on attend du pouvoir politique qu’il tranche le nœud gordien d’une instruction enlisée depuis onze ans dans ses préjugés et ses fausses pistes ?
http://billetsdafrique.survie.org/Genocide-des-Tutsi-rwandais-L