qu'elle a consacré à son père " Valdiodio N'Diaye, la mémoire retrouvée", dévoilé à Cannes en 2000. Rencontre.
Ce projet de film vous tenait particulièrement à coeur ? Ce sujet me tracassait. J'avais 10 ans quand on a arrêté mon père. Je ne l'ai revu qu'après mes 20 ans. Tous mes précédents films étaient déjà consacrés à l'Afrique.
Comment a-t-il été accueilli au Sénégal ? Il a été projeté à Dakar pour la première fois en 1999, lors du salon culturel français. J'ai été très surprise de voir que le sujet était encore sensible. La salle était pleine. Des gens étaient restés dehors. Il y avait dans la salle ma famille, des partisans de Valdiodio, et une délégation des amis de Senghor. Bien que les événements se soient déroulés il y a près de 40 ans, la soirée a failli mal tourner. Les deux clans se sont affrontés verbalement alors que le film est sans haine. Il livre seulement les faits mais il ne s'engage pas. Mon père savait pardonner. Je ne voulais pas faire l'antithèse de ce qu'il était. Les amis de Senghor avaient trouvé ce film digne, mais le sujet était encore gravé dans les consciences. C'était toujours une histoire cachée, un tabou... Les partisans de Senghor ne supportaient pas que l'on écorne son image. L'image que Senghor a donnée de lui est en fait une imposture.
Comment s'est déroulée la promotion de votre film ? Il n'a jamais été diffusé sur la chaîne nationale au Sénégal alors qu'elle m'a prêté des images et que j'ai tout fait pour qu'elle soit productrice. A deux reprises, on m'a dit que la cassette avait été perdue... C'est finalement une nouvelle chaîne privée sénégalaise qui l'a diffusé à trois reprises. J'ai galéré pour faire ce film et trouver des images, car il écornait l'image de Senghor. Heureusement, Abdou Diouf m'a beaucoup aidée. Histoire et Planète ont accepté de financer une partie du film. Mais j'ai été obligée de vendre une maison que j'avais héritée de mon père au Sénégal pour boucler le budget.
Comment expliquez-vous que quarante ans après les faits, cette histoire soit restée taboue ? Quand Senghor est mort, j'ai envoyé des dossiers à tout le monde sur ce sujet pour montrer l'autre image de ce dirigeant. Seul "Le Vrai-Faux journal" de Karl Zéro a été intéressé... mais on m'a rappelée pour me demander de signer l'article. Les responsables d'E nvoyé spécial m'ont dit que le sujet était intéressant, mais qu'il y avait plein de cérémonies en hommage à Senghor. Bref, ça les dérangeait. Mais maintenant, dix ans après la sortie du film, j'ai beaucoup de contact. Même au Sénégal. C'est extraordinaire. Il n'y plus de sujet tabou. Dans le cadre des 50 ans de l'indépendance du Sénégal, le 4 avril, il sera diffusé par TV 5 dans 52 états africains !
Depuis la réalisation de ce documentaire, vous avez choisi de vous consacrer à la peinture. Pourquoi ? Gérer une société de production devenait de plus en plus difficile. C'est compliqué pour une petite société de s'insérer dans les circuits. Chaque fois, on se met en danger financièrement. Pour faire des films sur l'Afrique, il faut vraiment avoir un idéal car ça ne rapporte pas. Avec la peinture, je suis indépendante. Je n'ai pas besoin des autres. Il suffit d'un peu de couleurs, de sable et de boue et vous créez. Pour moi, c'est une thérapie essentielle. La solitude m'a plu. Mais j'ai été rattrapée par le cinéma. Des amis toulousains m'ont demandé de participer à la réalisation d'un court-métrage. J'ai écrit un scénario. Et actuellement je termine une fiction. C'est la suite du documentaire consacré à Valdiodio, à travers la vie de sa famille.
"Valdiodio N'Diaye, la mémoire retrouvée", le 2 avril au Colisée de Carcassonne, à partir de 21 h, avec l'association Survie, en présence de la réalisatrice, de Guibril N'Diaye, son frère (lire ci-dessous) et de Boubacar Sagna, historien sénégalais. La projection sera suivie d'un débat. Entrée : 6 euros.
Recueilli par Laurent Costes
Guibril N'Diaye, dit "Bibi", le charismatique buraliste de la rue de Verdun, participera au débat. Le fils aîné de Valdiodio N'Diaye est ravi que ce film passe "enfin" à Carcassonne. "Beaucoup de personnes ici connaissaient mon père et son histoire, mais ne savaient pas exactement la vérité, explique-t-il. Ce documentaire permet d'expliquer ce qui s'est réellement passé." Guibril N'Diaye apprécie particulièrement l'intervention de Robert Badinter dans ce film : "C'est quelqu'un de respectable. Quand il parle, ce n'est pas du blabla. Il dit la vérité. J'avais peur que des gens croient qu'il s'agissait d'un film partisan. Ma soeur a fait un film "soft" et neutre. Elle ne voulait pas qu'on oublie mon père. Le témoignage de Badinter rend ce film encore plus crédible." Le buraliste se souvient, entre autres, d'un article paru dans Le Monde, après le procès de son père en 1964, qui affirmait que Valdiodio N'Diaye était innocent. "Mon père disait toujours que l'histoire parlera", avoue Bibi, en rappelant que le plus grand lycée d'Afrique de l'Ouest porte désormais son nom.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire