Original : The politics of genocide: Rwanda & DR Congo
Español: La política del genocidio: Ruanda y la R. D. del Congo
Español: La política del genocidio: Ruanda y la R. D. del Congo
Une lecture révisionniste du génocide du Rwanda en 1994 avalisée par Noam Chomsky confirme l’aveuglement moral de la gauche négationniste, écrit Martin Shaw.
Les guerres politiques autour de l’histoire du génocide sont plus que manifestes dans les controverses au sujet de l’Holocauste (voir "The Holocaust, genocide studies, and politics"- L’Holocauste, études sur le génocide et politique - 18 août 2010). Mais elles sont également en train de s'exacerber autour du Rwanda où, en 1994, le régime du “Hutu Power” a tué des centaines de milliers de Tutsis ainsi que des Hutus modérés (voir Gérard Prunier, The Rwanda Crisis, 1954-94: History of a Genocide – La crise au Rwanda, 1954-94 : histoire d'un génocide - C Hurst, 2ème édition, 1998).Le contexte politique de cette évolution est que le gouvernement du Front Patriotique rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagame – qui a mis fin au génocide en prenant le pouvoir – est autant déterminé à utiliser la culpabilité de l’Occident qui a échoué à arrêter le génocide de 1994, pour assurer sa propre impunité que d'exploiter les victimes du génocide du Rwanda afin de détourner les critiques sur son autoritarisme en politique intérieure et son agressivité en politique étrangère.
Cette stratégie n'est pas très effective en réalité. Un véritable mouvement s'amplifie pour que le FPR reconnaisse sa propre responsabilité dans les massacres des civils, particulièrement des Hutus, conduisant à ce qu’on l’accuse d'avoir lui aussi commis un génocide. Jusqu'à présent, l'attention s'est surtout concentrée sur les massacres à l'intérieur du Rwanda, durant l'invasion du FPR en 1994 et la consolidation du pouvoir qui s'est ensuivie, notoirement à Kibeho en 1995.
Ces événements ont conduit certains propagandistes hutus à avancer la théorie du « double génocide ». C'est une idée simpliste et déformée car les massacres du FPR étaient localisés, sans atteindre l'envergure nationale ni le ciblage systématique qu’a eu l'énorme campagne de meurtres du pouvoir hutu. Néanmoins, il n'y a aucun doute que le FPR ait commis des massacres génocidaires des civils hutus.
Les projecteurs sont cependant aujourd'hui braqués sur les conséquences du génocide de 1994, lorsque le FPR poursuivit les génocidaires hutus jusqu'à ce qui était à l'époque, le Zaïre (aujourd'hui la République démocratique du Congo), initiant des guerres dévastatrices qui ont englouti le pays jusqu'en 2003 et continuent même à ce jour, dans certaines régions. Dans ces guerres, un déploiement constant (et pour les profanes, déconcertant) d'États et de groupes armés congolais ont combattu les uns contre les autres et commis des atrocités (y compris des viols systématiques) contre les civils.
Un nouveau rapport
Gérard Prunier, dans son étude monumentale consacrée aux guerres du Congo - From Genocide to Continental War: The 'Congolese' Conflict and the Crisis of Contemporary Africa (Du génocide à la guerre continentale : le conflit congolais et la crise de l'Afrique contemporaine - C Hurst, 2009) explique que le régime du FPR demeure le participant extérieur le plus constant et le plus déterminé dans ces conflits ; sa responsabilité dans les massacres étant reconnue depuis longtemps (voir Gérard Prunier, "The eastern DR Congo: dynamics of conflict", Est de la République Démocratique du Congo : les dynamiques du conflit - 17 novembre 2008).
Pour leur part, les gouvernements occidentaux, particulièrement les USA et la Grande-Bretagne, ont constamment différé le statut de « victime » du Rwanda, le soutenant même, dans certains cas, contre de graves accusations de crimes pour lesquels il y a des preuves sérieuses.
Mais un rapport détaillé du Haut Commissaire aux Droits de l'Homme des Nations Unies – dont a fait état le journal Le Monde – a établi « les violations les plus graves des droits humains et de la loi humanitaire internationale » commis en République Démocratique du Congo de 1993 à 2003, comme des attaques systématiques des civils à grande échelle. Un résumé au paragraphe 512 dit :
« Ces attaques ont pour résultat un très grand nombre de victimes, probablement des dizaines de milliers de membres du groupe ethnique hutu, toutes nationalités confondues. Dans la vaste majorité des cas rapportés, ces gens n'étaient pas tués involontairement lors des combats, mais ils étaient ciblés essentiellement par les forces (rwandaises et alliées) et exécutés par centaines, souvent par armes blanches. La majorité des victimes étaient des enfants, des femmes, des personnes âgées et malades, qui ne présentaient aucune menace pour les forces assaillantes. De nombreuses attaques graves ont également été commises sur l'intégrité physique ou psychologique des membres du groupe et un très grand nombre de Hutus ont été abattus, violés, brûlés ou battus. Un très grand nombre de victimes a été forcé de fuir et de parcourir de longues distances afin d'échapper à leurs poursuivants qui essayaient de les tuer. La chasse a duré des mois, avec pour conséquence la mort d'un nombre inconnu de personnes qui ont vécu dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes, sans accès à la nourriture ou aux médicaments. À plusieurs occasions, l'aide humanitaire qui leur était destinée a été délibérément bloquée, en particulier dans la province orientale, les privant d'assistance essentielle à leur survie. »
Le rapport avance donc prudemment (paragraphes 514 à 518) que les attaques sur les Hutus pourraient être considérées comme un génocide.
C'est une conclusion explosive pour le gouvernement rwandais (qui a réagi de façon prévisible en menaçant les arrangements de paix dans la région). Les Nations Unies et les gouvernements occidentaux vont aussi le trouver embarrassant et inopportun au point qu’on doute qu’il soit jamais rendu officiellement public.
Un grand déni
Tout cela est aussi un carburant apprécié pour un groupe déterminé de négationnistes du génocide au Rwanda. Un nouveau livre de Edward S. Herman et David Peterson qui se concentrent sur l'utilisation du terme « génocide » dans les médias et à l'université - The Politics of Genocide (La politique du génocide - Monthly Review Press, 2010) – affirme que la classe dirigeante occidentale a « avalé une ligne de propagande sur le Rwanda qui a mélangé les auteurs des crimes et les victimes » (p.51) ; le FPR n'a pas seulement tué les Hutus mais a aussi été le « premier génocidaire” (p.54) ; il y a eu « des meurtres à grande échelle et un nettoyage ethnique des Hutus par le FPR bien avant la période d'avril à juillet 1994 (p. 53) ; Ce qui a contribué à un résultat dans lequel « la majorité des victimes étaient probablement des Hutus et pas des Tutsis » (citation autorisée, p. 58).
Herman et Peterson indiquent qu' « un nombre d'observateurs ainsi que des participants aux événements de 1994 prétendent que la grande majorité des morts étaient des Hutus avec une estimation, selon certains, de plus de deux millions » (p. 58). Mais après vérification de la référence de cette déclaration choquante, il apparaît que seule une lettre d'un ancien officier du FPR et des communications personnelles d'un ancien conseiller de la défense devant la Cour Criminelle Internationale pour le Rwanda (n. 127, p. 132) – tous les deux étaient donc des participants plutôt que des « observateurs ». C'est suffisant à ces auteurs pour rejeter l'idée de « 800 000 ou plus de morts largement tutsis » comme propagande du FPR et de l'Occident (voir Adam Jones, "On Genocide Deniers - Challenging Herman and Peterson"- Sur les dénieurs du génocide : opposition à Herman et Peterson - AllAfrica.com. 16 juillet 2010).
Ce livre mérite attention du fait qu'il comporte une longue préface du collaborateur de longue date d'Herman, Noam Chomsky. Chomsky reste pour beaucoup un champion exemplaire des droits humains ; une citation de lui se trouve même en exergue du respectable site internet universitaire sur lequel le rapport des Nations Unies qui a filtré, a été publié.
Beaucoup d'autres cependant, sont arrivés à une vision très différente de Chomsky après avoir examiné ses commentaires sur le dossier des Khmers Rouges au Cambodge, son indulgence vis-à-vis d’auteurs négationnistes de l'Holocauste et son encouragement à nier le génocide en Bosnie. Mais même dans ce contexte horrible (pour utiliser un des mots préférés de Chomsky), son soutien à « La politique du génocide », avec son déni du génocide au Rwanda ainsi qu'en Bosnie, va plus loin.
Une zone de silence
Ce livre et la préface de Noam Chomsky montrent par inadvertance, combien les politiques du génocide sont devenues multidirectionnelles. Il est vrai que les propagandistes occidentaux officiels minimisent « nos » crimes et représentent ceux de « nos » ennemis de manière trè simplifiée et que de tels tours de passe-passe méritent d'être dénoncés. Mais il est également clair que les propagandistes antioccidentaux – Herman, Peterson et Chomsky parmi d'autres – sont coupables des mêmes dérobades et aberrations de l' « autre » côté.
Ils affirment que dans les récits occidentaux officiels, « nos victimes sont indignes de notre attention et de notre indignation, et ne souffrent jamais de génocide perpétré par nos mains » (p. 104, italique dans l'original). Pourtant dans les récits antioccidentaux de Chomsky, un procédé identique se produit : les ennemis de l'Occident, qu'ils soient Serbes nationalistes ou du « Hutu Power » rwandais, n'ont jamais commis aucun « génocide » et leurs crimes sont toujours de moindre importance que ceux perpétrés par les forces soutenues par les Occidentaux.
Le journaliste John Pilger soutient La Politique du Génocide en disant sur sa couverture qu'Herman et Peterson « défendent le droit de chacun d'entre nous à une mémoire historique
véridique ». Ce droit important ne peut pas être exercé en traitant les hommes et les garçons de Srebrenica, les Albanais du Kossovo massacrés et expulsés et les Tutsis rwandais massacrés de « victimes indignes ».
Pour les chercheurs sur le génocide, ce livre est un matériel riche de ressources. Ce n'est pas une contribution analytique sérieuse dans l'intérêt d' « une mémoire historique véridique ».
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