Ce texte est la dernière chronique, publiée par le quotidien Página/12 de Buenos Aires, du poète argentin Juan Gelman, qui vient de mourir à Mexico à l'âge de 83 ans.Traduit par
Paul Rouet
Juan Gelman (1930-2014) |
Le
gouvernement du socialiste Hollande ne rénove pas les vieilles formules
du colonialisme que son pays a pratiquées depuis le XVIIème siècle
jusqu’à ce qu’il soit contraint de quitter l’Algérie en 1962. La France
sera-t-elle un « État défaillant » par manque d’imagination ? Ou
bien certaines formes de domination ne changent-elles même pas alors que
le changement affecte le monde entier ? S’il devait en être ainsi, ce
capitalisme que l’on appelle « sauvage » ne progresserait pas beaucoup
dans son projet de survie.
Le pays qui a été le berceau de la devise Liberté, Égalité,
Fraternité a envahi le Mali le 12 janvier de l’année dernière (Opération
Serval) et la République Centrafricaine le 3 décembre (Opération
Sangaris). Selon Hollande, ce fut une « réaction humanitaire » pour
sauver « un peuple qui souffre et qui nous appelle ». Mais cela ne
semble pas le cas. En effet, quand Paris a contenu la rébellion au Mali (www.globalresearch.ca,
7-1-14), de nouveaux contrats de forage et d’extraction ont
immédiatement été signés avec l’ aide du commandement US pour l’Afrique,
l'Africom. Un communiqué de presse de la Legend Gold de Vancouver,
gigantesque entreprise d’extraction, d’achat et de vente d’or et
d’argent, a annoncé son intention d’exploiter des mines d’or dans des
lieux très précis à l’ouest et au sud du pays (Marketwired, 6 janvier
2014). La mise en oeuvre de ces programmes commencera début février de
cette année. Douglas Perkins, PDG de Legend Gold, a déclaré que le
contour de ces projets a été mis au point au cours du dernier trimestre.
Restauration de l'ordre, par Tom Janssens, Pays-Bas
Le 18 décembre 2013 le Fonds Monétaire International a octroyé au
Mali un prêt de 46,2 millions de dollars « pour que la vulnérabilité de
la balance des paiements se dissipe et pour créer les bases d’une
croissance plus rapide et plus durable » (www.imf.org/external,
18-12-13). Mais ce genre de crédits obligent les pays qui en
bénéficient à réduire leurs services sociaux, comme l’éducation et la
santé publique, afin de payer leurs dettes. Les conséquences
catastrophiques de tels accords sont apparues avec une clarté aveuglante
dans le cas de « l’expérience argentine » qui a culminé en 2001 avec
l’humiliante fuite du président d’alors, De la Rúa.
Sans sous-estimer la dynamique de la mosaïque, terroriste ou non,
qu’est devenu le Printemps Arabe, l’intervention militaire française au
Mali a plus à voir avec les ressources naturelles de ce pays qu’avec les
pénuries dont souffre sa population. Dans ce riche pays d’Afrique,
Paris gère ses propres intérêts dans le cadre du Programme de relations
franco-allemandes qui coïncide avec l’intérêt pour la France à faire
main basse sur les ressources du Sahel, en particulier le pétrole et
l’uranium. La compagnie française Areva exploite l'uranium depuis des
décennies dans le Niger voisin du Mali. Hollande, lui, se consacre à une
autre forme d’exploitation, celle de l’hypocrisie : il affirme aux
Maliens que la France ne sert aucun intérêt particulier dans le pays,
« nous n’en avons aucun » dit-il, « nous sommes là pour le bien du Mali
et de l’Afrique Occidentale » (www.anabafrance.es.org,
2-2-2013). Mais il est bien évident que oui, il sert les intérêts des
coffres bancaires et des jeux financiers, et non ceux des poches des
simples citoyens.
« L’impératif humanitaire » de François Hollande en
République Centrafricaine, exécuté par 1 200 militaires français, est
destiné à freiner la Chine et surtout à contrôler les réserves d’or, de
diamants et d’uranium, qui reposent, pas pour longtemps, dans le
sous-sol d’un pays plus grand que la France et la Belgique réunies (www.michelcollon.info,
14-12-2013). Les entreprises françaises y sont hégémoniques, dans le
transport fluvial, dans le sucre, dans les boissons, dans le stockage et
la commercialisation du pétrole, et ce n’est pas d’aujourd’hui que ses
habitants souffrent d’une situation catastrophique. Depuis 1960 ils
souffrent de la répression et des abus de six présidents successifs qui
ont occupé ce poste après autant de coups d’État.
Le ministre français de l’Économie, Pierre Moscovici, a reconnu qu’en dix ans « La France a perdu la moitié de son marché en Afrique subsaharienne ».
Le coupable ? La Chine, qui a fait une entrée triomphante dans le
secteur de l’or noir et a augmenté ses investissements sur le continent
avec les contrôles le moins rigides. En 2008 Pékin a accordé à la
République Centrafricaine quelque 4,4 millions d’euros qui ont permis de
construire des écoles et des hôpitaux dans une zone désolée.
L'existence de groupes rebelles de différentes origines et
disséminés dans tout le pays, en désaccord entre eux, débouche sur des
atrocités généralisées, des pillages, des viols, des assassinats en
série, des activités devenues quotidiennes pour ceux qui n’ont connu que
les brutalités et les tueries. Mais cela ne date pas d'aujourd’hui, et
la France, comme d’autres puissances occidentales, continue d’être
frappée par la crise économique mondiale. L’heure était donc venue pour
elle de reconnaître ces maux afin de se garantir militairement la
possession des richesses.
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