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Blog régional de l'association Survie (Aude, Gard, Hérault,Lozère,Pyrénées-orientales)

mardi 19 janvier 2016

Tout n’est pas blanc et noir, en Afrique comme ailleurs , de Daniel Dupuis
Note de lecture

par Philippe Cazal, 3/1/2016
Pour des hommes « qui ne sont pas rentrés dans l’histoire », les Africains d’aujourd’hui sont bien créatifs, combatifs et solidaires. C’est ce que montre le livre de Daniel Dupuis qui a recueilli de nombreux témoignages d’hommes et de femmes à l’action dans divers pays d’Afrique de l’Ouest. L’auteur met en balance cette réalité avec le discours raciste qui, de Voltaire à Sarkozy, justifie la colonisation.

Tout n'est pas blanc et noir face 2

Daniel Dupuis nous invite, à travers ces pages, à un va-et-vient entre d’un côté le discours de grands écrivains et hommes politiques français, du XVIIIe siècle à nos jours – un discours qui célèbre uniformément la supériorité de la race blanche -, et de l’autre côté la rencontre d’Africains d’aujourd’hui, qui construisent pierre à pierre leurs sociétés et leur avenir.

L’imaginaire raciste vient de loin, explique Daniel Dupuis, qui cite souvent les travaux de Survie et en particulier l’ouvrage d’Odile Tobner « Du racisme français » (Ed. Les Arènes, 2007). Les « nègres », dit Voltaire, sont prodigieusement moins intelligents que les blancs. Pour Montesquieu, ils sont « naturellement paresseux » et pour Hegel ils représentent « l’homme naturel dans toute sa barbarie », sans « moralité » ni « sentiment ».

Cet imaginaire n’est pas neutre, il contribue à justifier la conquête coloniale, comme le fait Victor Hugo en 1879 : « L’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. » Aussi l’Europe est-elle selon lui légitime à faire de l’Afrique « un monde » : « Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu donne l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. »

Ernest Renan (1823-1892) prône « la régénération des races inférieures ou abâtardies, par les races supérieures ». Pour lui, la « race chinoise » est une race d’ouvriers, « le nègre » est fait pour travailler la terre et il y a « une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. » Jules Ferry ne dénote pas, en estimant que les « races supérieures » ont « le devoir de civiliser les races inférieures ». Ni Léon Blum (1872-1950) qui, avec d’autres mots, tient à peu près le même discours.

Aussi ne faut-il pas s’étonner du vote, le 23 février 2005, par les parlementaires français d’une loi évoquant « le rôle positif de la présence française outre-mer », en oubliant de parler de rôle négatif. Aimé Césaire (« Discours sur le colonialisme », 1955) avait pourtant dressé le bilan de la colonisation : des « sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées », les milliers d’hommes sacrifiés à la construction du chemin de fer Congo-Océan (15 à 30 000), « les millions d’hommes à qui l’on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité… », « les cultures vivrières détruites, la sous-alimentation installée… ». Et puis il y a les millions (de 11 à 20 selon les estimations) d’Africains victimes de la traite.

Lorsque le 26 juillet 2007 le Président de la République Française, Nicolas Sarkozy, dans son discours de Dakar, estime que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » et qu’il « ne s’élance jamais vers l’avenir », il y a, dit Daniel Dupuis, « de l’arrogance et du paternalisme » et surtout beaucoup d’ignorance et d’inculture ; et c’est en même temps la perpétuation d’une culture raciste et colonialiste française.

Terre d’espoir

A l’inverse des affirmations du journaliste franco-américain Stephen Smith (« Négrologie », Calman-Levy, 2003), pour qui l’Afrique est un « Ubuland sans frontières, terre de massacres et de famines, mouroir de tous les espoirs », l’Afrique, estime Daniel Dupuis, fourmille de ressources… humaines qui s’emploient à construire un monde meilleur.

Et l’auteur en donne de nombreux exemples, à travers des témoignages recueillis en 2010 et 2011 au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Sénégal et au Bénin.

Parmi eux, Germain Ouédraogo évoque le théâtre d’intervention sociale, qui contribue à la sensibilisation des spectateurs, par exemple sur des questions comme l’excision, la scolarisation des filles, la culture biologique…

Un chapitre est consacré aux « écologistes en action », dont Haïdar el Ali, fondateur de la Fédération démocratique des écologistes du Sénégal, à l’origine de la plantation de plus de cent millions de palétuviers pour reconstituer la mangrove du littoral de la Casamance.

Les chanteurs, comme Didier Awadi, Smockey, Sam’sklejah, sont pour leur part engagés dans la dénonciation de la misère, du chômage, de l’analphabétisme et de la corruption. Les deux derniers sont à l’origine du « Balai Citoyen » (2013), mouvement qui a fortement contribué au départ de Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso.

Les femmes sont à l’origine de nombreuses initiatives, pour la scolarisation des adolescentes, pour l’alphabétisation des femmes, la connaissance de leurs droits, leur formation à la gestion, contre l’excision, la polygamie… Françoise Bibiane Yoda et le réseau Femmes en action accompagnent les associations dans le développement d’activités génératrices de revenu.

Il y a aussi les paysans, tel Yacouba Sawadogo (Burkina), qui a encouragé la diffusion de techniques adaptées à l’environnement sahélien (zaï, demi-lune) et qui, comme Mamadou Diakité (Mali), a promu la régénération naturelle assistée : en plantant des arbres selon des techniques simples et appropriées des centaines de milliers d’hectares du Sahel ont échappé à la désertification.

Au Burkina, les Groupements Naam travaillent aussi pour un développement agricole solidaire, respectueux de l’homme et de la nature, et pour la sécurité alimentaire.

Ousmane Tiendrébéogo, lui, se bat contre le coton OGM de Monsanto, qui endette les paysans et cause leur expulsion au profit de grandes entreprises financières.

Des exemples d’activités dans le secteur informel (à Cotonou notamment), illustrent la faculté d’adaptation des Béninois, entre autres, dans une économie dominée par un système économique néo-colonial.

Daniel Dupuis donne aussi la parole aux militants politiques, altermondialistes par exemple, comme Moussa Tchangari et Ali Idrissa (Niger), qui dénoncent les conditions de l’exploitation de l’uranium par Areva ; ou comme Samba Tembely au Mali (Coalition des alternatives africaines dette et développement.

Nous sommes donc loin de l’inertie et de l’indolence d’indigènes assommés par le soleil tropical ou inhibés par leur incapacité à prendre en mains leur destin. Adama Ba Konaré avait écrit un « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy » (La Découverte/Poche 2009). Le livre de Daniel Dupuis est une sorte de petit précis des initiatives et du courage humain. A lire absolument pour avoir un aperçu d’une réalité assez largement ignorée par les médias français, encore en 2016.

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