Par François Gèze, blog de Mediapart, 26/8/2017
Le 17 août, l’éditorial du Monde « Au Sahel, la crainte d’une guerre
sans fin » concluait, sans expliquer : « La réponse militaire s’est
jusque-là montrée très insuffisante pour venir à bout de groupes qui
recrutent en jouant sur des frustrations économiques ou communautaires
auxquelles aucune solution n’est apportée. » L’analyste nigérien Moussa
Tchangari apporte les explications qui manquent.
Le 17 août 2017, l’éditorial du Monde « Au Sahel, la crainte d’une guerre sans fin »
se concluait, mais sans donner plus de précisions, sur ce constat fort
pertinent : « La réponse militaire s’est jusque-là montrée très
insuffisante pour venir à bout de groupes qui recrutent en jouant sur
des frustrations économiques ou communautaires auxquelles aucune
solution n’est apportée. » D’où l’importance, pour en savoir plus sur
les racines de cette « guerre sans fin » du Sahel, de se tourner vers
les observateurs locaux, dont les travaux, trop méconnus des grands
médias occidentaux, apportent souvent des clés essentielles pour
comprendre les ressorts profonds de conflits obscurs où sont pourtant
directement impliquées les « grandes puissances ». Au premier rang
desquelles la France, dont les responsables actuels semblent bien y agir
toujours sans parvenir à se libérer du vieux « logiciel colonial » qui a
formaté les cerveaux de générations d’« élites républicaines » tout au
long du xixe siècle et jusqu’aux années 1960.
C’est ce dont atteste la remarquable étude de Moussa Tchangari, secrétaire général de l’ONG nigérienne Alternative Espaces Citoyens, intitulée Sahel : aux origines de la crise sécuritaire. Conflits armés, crise de la démocratie et convoitises extérieures, publiée deux jours après l’éditorial du Monde, le 19 août 2017, et accessible ici ou là.
Celle-ci est principalement consacrée aux failles gravissimes de la
réponse de la « communauté internationale » à la conjonction des
entreprises « djihadistes » de la secte Boko Haram, qui sévit au nord du
Nigeria depuis 2002, et des divers groupes armés « islamistes » actifs
dans les différents États du Sahel (Mali et Niger principalement) et du
Sahara (Algérie – voir mon article de 2014
sur le rôle spécifique de ce pays –, Mauritanie, Libye, Tunisie),
surtout depuis les années 2010. Une étude de 52 pages, qui mérite une
lecture attentive, tant elle est riche en informations de première main,
que l’on retrouve rarement dans les médias dominants, anglophones comme
francophones. Son auteur, Moussa Tchangari, est en effet un acteur de
premier plan de la « société civile » de son pays, le Niger (et membre
de longue date du conseil d’administration de la Fondation Frantz Fanon, qui réunit des militant-e-s internationalistes de tous les continents).
Avant d’évoquer quelques-uns des apports à mon sens essentiels du
travail de Tchangari, je dois souligner qu’il complète très utilement
une autre étude tout aussi passionnante, remarquablement documentée, du
politologue Jean-François Bayart sur les racines du salafisme et du
djihadisme nord-nigérians et de l’« économie politique » de Boko Haram,
qu’il a publiée au même moment, le 18 août2017, sur son blog de Mediapart : « De quoi Boko Haram est-il le nom ? ».
Il y montre fort pertinemment que l’extension de la secte et de ses
actions mortifères est loin de s’expliquer uniquement par son
prosélytisme religieux islamiste : « Boko Haram est l’expression
contemporaine d’un système économique régional séculaire qui s’est
structuré entre Fort-Lamy (Ndjamena), Kousseri et Maiduguri, sur les
ruines de l’économie saharienne et esclavagiste de la fin du xixe
siècle, grâce aux “gains marginaux” qu’ont engendrés les frontières
étatiques, le marché cambiaire à l’interface du naira et du franc CFA,
le développement des routes et du chemin de fer, les disjonctions entre
les cycles économiques du Nigeria et ceux de ses voisins, les cours
changeants du pétrole qui affectent les deux producteurs du bassin, le
Nigeria et le Tchad, et, enfin, les conflits armés, de l’aventure de la 2e
DB pendant la Seconde Guerre mondiale, à partir de Fort-Lamy, aux
rébellions postcoloniales tchadiennes, en passant par la guerre du
Biafra. La secte met en termes religieux une insurrection sociale et
politique contre l’iniquité de ce système et de la classe dominante qui
en tire profit, et ouvre des opportunités à ceux qui en sont les
subalternes et les victimes. »
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