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Blog régional de l'association Survie (Aude, Gard, Hérault,Lozère,Pyrénées-orientales)

jeudi 5 novembre 2009

Les Rwandais, les Congolais et les Nantais méritent mieux que Pierre Péan et Charles Onana


Communiqué de Survie 44, 5/11/2009


Le vendredi 6 novembre 2009 est organisée à Nantes une conférence intitulée "Les Droits de l'Homme dans la Région des Grands Lacs" avec pour intervenants Pierre Péan et Charles Onana. Survie 44, très préoccupé par la situation humanitaire et politique dans cette sous-région (1) souhaite réagir face au choix de ces conférenciers qui ne nous semblent pas réunir les conditions d’impartialité et de droiture qui conviendrait à ce sujet.
Nous remettons en cause l’impartialité des travaux réalisés par ces invités dans leur approche du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et les guerres qui ont suivies dans la sous-région.
Le journaliste de Libération Christophe Ayad présentait dans un article de 2004, C. Onana et le québécois Robin Philpot avec qui il a collaboré, comme des « auteurs négationnistes ». Les deux essayistes qui avaient porté plainte ont été déboutés devant le tribunal correctionnel et en appel en 2005. La même année, C. Onana répondant aux questions de RFI, balayait d’un revers de la main toutes les études historiques faites depuis 1994 et même avant, en ce qui concerne la planification du génocide : «Dix ans après les faits, le tribunal international ne dispose pas de preuves du génocide des hutus contre leurs compatriotes tutsis» (2).
Concernant Pierre Péan, le journal belge Le Soir présentait son livre Noires Fureurs, Blancs Menteurs comme la « synthèse de tous les négationnismes déjà publiés » (3). Pierre Péan assume d’ailleurs ce qualificatif lors d’une interview à L’Express : « je sais que je serai classé, au mieux parmi les révisionnistes, au pire chez les négationnistes. Mon espoir étant de ne figurer que dans la première catégorie. Ce que j'assume […] » (4). Victor Sègre, dans Billet d’Afrique écrivait le 1er mars 2009 « Péan prétend réécrire l’« histoire officielle » du génocide des Tutsi, mais il se défend de faire partie des négationnistes […]. Comme la plupart de ces derniers, il ne va pas jusqu’à nier la qualification de génocide, mais il la dénature et la prive de sa signification historique. Il garde le mot sans son contenu. Ainsi il récuse d’abord l’idée d’une planification antérieure à l’exécution du génocide5. Le génocide ne serait ensuite qu’un dommage collatéral de la guerre civile, au cours de laquelle des massacres de même nature auraient été commis de part et d’autre. Représailles, crimes de guerre et génocide étant mis sur le même plan. Comme Mitterrand puis de Villepin, il défend ainsi, de manière plus ou moins explicite au gré de ses interventions, la thèse du double génocide. Enfin, il est prisonnier d’une vision ethniste de l’histoire à l’instar des officiers français avec lesquels il s’affiche en colloque. Il ne raisonne qu’en terme de responsabilité collective de « l’ethnie » tutsi ou de « l’ethnie » hutu. Si le FPR [Front Patriotique Rwandais dirigé par Paul Kagamé] commet des crimes de guerre, c’est que « les victimes » deviennent à leur tour « les bourreaux », comme si les rescapés de la Shoah avaient dû collectivement porter, parce que Juifs, la responsabilité des exactions commises par l’armée israélienne. » (6)
Cette thèse du double génocide semble induite sur le recto du tract de présentation de la conférence du 6 novembre, où apparaît le mot « génocides » au pluriel. Ceci fait référence soit à l’affirmation d’un double génocide au printemps 1994 au Rwanda : celui commis par les extrémistes hutus du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) envers les Tutsis et celui supposé commis par le FPR (et les Tutsis) envers les Hutus ; soit à la thèse d’un deuxième génocide perpétré par la suite par les Tutsis en représailles depuis 1994 sur les Hutus de la République Démocratique du Congo. Dans les deux cas, ce sont des erreurs historiques et sémantiques. Il y a eu un génocide et un seul, celui mis en œuvre par les extrémistes du régime Habyarimana puis le GIR envers les Tutsis à partir d'avril 94 au Rwanda, génocide qui s’est accompagné du massacre d’opposants hutus. D’un autre côté, des crimes de guerre qui peuvent être qualifiés de crimes contre l'humanité ont été commis par le nouveau régime rwandais de Paul Kagamé au Rwanda et en RDC. Au-delà de l'association Survie, il s'agit d'un point de vue partagé par de nombreux observateurs internationaux, ONG, journalistes, historiens.
Aujourd'hui, nous assistons à une surenchère du verbe qui veut que la qualification de génocide soit appliquée à tout massacre pour lui donner plus de poids médiatique, comme si l’horreur ne se suffisait pas à elle-même, faisant fi du droit international et d’une démarche intellectuelle honnête qui permet une action juste. Il n'y a aucun jugement de valeur de notre part dans cette distinction. Mais cette confusion fait que les mots n'ont plus de sens, et dans ce cas, il ne reste que les poings et les armes...
Nous souhaitons rappeler que Survie a toujours alerté sur les responsabilités de tous les acteurs impliqués dans les guerres des Grands Lacs. C’est cette approche multiple qu’il importe de montrer et que l’on doit replacer dans une vision historique longue, au moins depuis le début du XXème siècle. La RDC meurt de sa richesse et des convoitises de groupes armés mafieux (tutsis, hutus, d’autres groupes de population, qu’ils soient du Rwanda, de RDC, d’Ouganda…), de mercenaires attirés par l’appât du gain, de pays d’Europe, d’Amérique, d’Afrique, d’Asie prenant parfois partie pour l’un ou l’autre des protagonistes et de grandes entreprises minières américaines, anglaises, sud africaines, chinoises…. On a même vu une entreprise canadienne employer des mercenaires s’engageant dans la guerre civile afin de pouvoir continuer tranquillement l’exploitation de sa concession. Nous souhaitons rappeler également qu’en tant qu’association de citoyens français, Survie est tout particulièrement engagée dans l’étude et la dénonciation de l’implication des autorités politiques et militaires françaises dans le génocide des Tutsi. C’est en toute indépendance qu’elle mène ce combat au grand damne de ceux qui, relativisant le génocide pour entre autre mieux disculper la France, continuent de se faire le relais de la propagande des extrémistes.
Par principe, Survie 44 ne s’oppose pas à la tenue de cette conférence car l’expression d'avis divers doit permettre au public de se faire sa propre opinion. Nous pensons par contre, qu’il y a un risque de ne pas obtenir d’informations objectives lors de cette conférence dans la mesure où elle présente uniquement le point de vue d’auteurs polémistes à tendance révisionniste. C’est pourquoi, il nous paraissait important d’apporter ces quelques éléments de compréhension. Vous trouverez, (annexe à télécharger) la position de Survie vis-à- vis du génocide et des crimes du FPR. Il nous semblerait important d’organiser dans les mois à venir une table ronde sur la situation des Grands Lacs qui fait débat et intéresse manifestement un certain nombre de Nantais, avec des intervenants aux avis peut-être divergents mais crédibles dans leurs recherches.

(1) Pour exemple, Jet FM, le 25 juin 2009
(2) RFI interview du 11/12/2005
(3) Le Soir, 26/11/2005
(4) L’Express, 1/12/2005
(5) « Contrairement à ce qu’affirme Péan, le TPIR ne nie pas la planification du génocide, mais, et c’est regrettable, il s’est révélé incapable de juger à qui incombait la responsabilité de cette planification. »
(6) Billets D’Afrique… et d’ailleurs n°178, mars 2009
A lire : - Des Forges Alison, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch/FIDH, Karthala, 1999.
- BRAECKMAN Colette, Rwanda, histoire d'un génocide, Fayard, 1994.
- Survie, La complicité de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda. 15 ans après, 15 questions pour comprendre, L’Harmattan, avril 2009, 164 p.

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