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Blog régional de l'association Survie (Aude, Gard, Hérault,Lozère,Pyrénées-orientales)

jeudi 10 mars 2011

L’annulation de la dette risque-t-elle d’aggraver la situation financière de la Tunisie ?

par Fathi Chamkhi, Tlaxcala,  10/3/2011
Ben Ali s’est enfui en laissant derrière lui une ardoise assez lourde ; notamment une dette extérieure publique de plus de 15 000 millions de dinars. Le peuple tunisien s’est débarrassé de son dictateur, quoi de plus légitime qu’il veuille se débarrasser aussi de la dette qu’il a laissé derrière lui ?
Un dictateur qui a bénéficié de facilités de crédits de la part de créanciers qui connaissent parfaitement à qui ils avaient affaire. Une partie de cette dette a servi à opprimer le peuple tunisien, tandis qu’une autre partie a été détournée par Ben Ali et ses clans. Par conséquent, une dette qui n’a pas servi les intérêts des Tunisiens. Autrement dit, une dette qu’il est juste de qualifier d’odieuse et qui doit être, de ce fait, répudiée.
La finance internationale ne l’entend pas de cette oreille. Le déboulonnement du dictateur a été
sanctionné par les agences de notation de la Tunisie (R&I, Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s) en baissant sa note ! Le peuple tunisien qui vient de recouvrer sa liberté en chassant son dictateur écope d’une mauvaise note.

Réagissant à cette baisse, certaines personnes, souvent bien intentionnées, ont tiré la sonnette d’alarme : la baisse de la note serait porteuse de menaces, notamment le renchérissement du coût de l’emprunt. En effet, quand la note baisse, la prime de risque augmente, donc l’emprunt coûte plus cher, risquant par là même de compliquer davantage la situation financière de la Tunisie.
Signalons tout d’abord que la baisse de la notation de la Tunisie n’est pas une réponse à la campagne de l’annulation de la dette que l’association Raid Attac Cadtm Tunisie vient de lancer, mais plutôt une sanction de la révolution. Cela dit, c’est une preuve on ne peut plus claire que la logique qui sous-tend la dette est une logique qui est contraire aux intérêts vitaux du peuple tunisien, et par conséquent justifie notre action qui vise son annulation.
En somme, face à la dette, il n’y a que deux positions tenables : la docilité absolue ou la rupture totale. Notre choix est la rupture des liens de la dette. De ce point de vue, il n’y a plus de place à la question de la notation. Ceux qui nous opposent cette question se situent, bien au contraire, dans la logique de la soumission à la dette.
Devons-nous craindre la rupture avec la dette ? La campagne de l’annulation de la dette est-elle porteuse de risques financiers pour la Tunisie ? Notre réponse est catégorique : non, la répudiation de la dette va dans le sens des intérêts de la Tunisie. En effet, elle a intérêt à la rupture puisque le solde des transferts nets, au titre de la dette à moyen et à long terme, est négatif. En d’autres termes, la Tunisie, du moins sur les 23 dernières années, a remboursé plus qu’elle n’a reçu au titre de l’endettement extérieur. Elle est fournisseur net de capitaux. En arrêtant les remboursements, c’est vrai que la Tunisie n’aura plus, peut-être, de nouveaux prêts, mais en bout de course elle aura tout de même gagné financièrement, et bien sûr politiquement puisque sa souveraineté en sera renforcée. Alors, de grâce cessons de parler de l’endettement en tant que source de financement
C’est simple, si on ne paie plus la dette, on n’a plus besoin d’emprunter et on utilise l’argent prévu au budget pour le remboursement de la dette pour augmenter les dépenses sociales et stimuler l’économie. On prélève également des impôts sur les hauts revenus, sur les grandes fortunes et sur les bénéfices des grandes entreprises nationales ou étrangères. Il faut aussi baisser la TVA sur les produits et services de première nécessité, instaurer un contrôle des changes et des mouvements de capitaux pour éviter leur fuite vers l’extérieur. Il y a lieu aussi de combattre durement la grande fraude fiscale
Enfin, si on répudie la dette et qu’on ne contracte pas de nouveaux emprunts extérieurs on n’a pas à se préoccuper de la dégradation de la cote de la Tunisie par les marchés financiers.
L'agence de notation Fitch Ratings a annoncé ce mercredi qu'elle abaissait d'un cran la note de la dette à long terme de la Tunisie à BBB- et maintenu sa perspective "négative", en raison des incertitudes entourant la situation économique et politique du pays.
"La dégradation (de la note) reflète les incertitudes entourant la stabilité (politique) de la Tunisie et la politique économique dans cette période de transition difficile", justifie l'agence de notation dans une note.
"Même si la transition vers la démocratie pourrait améliorer la confiance à long terme, l'agitation politique a détérioré les perspectives économiques à court terme, les finances publiques et le système financier", précise Fitch.

Source : Agence France Presse, 2 mars 2011

Un précédent historique : 1864-1881

1881 : signature du Traité du Bardo, par lequel la France impose le Protectorat
“L’homme s’appelle Georges, fils de Stéphanis Kalkias Stravelakis, né vers 1817 dans l’île de Chio en Grèce, à une époque où celle-ci faisait partie de l’Empire Ottoman, comme la Tunisie.


Le jeune Georges a été emmené à Smyrne en Turquie, en compagnie de son frère. Ils y furent vendus comme esclaves. Georges fut revendu par la suite à Tunis sous le règne de Hussein Bey, vers 1830. Il avait alors 13 ans et un nouveau nom, Mustafa. Affranchi, il devient très vite le favori de la cour beylicale et le gardien du trésor particulier du Bey Ahmed.


Puis c’est l’entrée au gouvernement où il cumula les portefeuilles des finances “Khaznadar”, de l’intérieur et de la régence. En 1857, il devient sous le règne de M’Hamed Bey, premier ministre tout en gardant les ministères de l’intérieur et des finances. Il avait alors quarante ans. Ne me demandez surtout pas le secret de cette promotion fulgurante, il est dans les livres d’histoire de la dynastie Husséinite. Mais ce n’est pas le plus important. L’important est dans l’usage que ce super-ministre a fait de ses pouvoirs exorbitants.


Dans son livre Notre ami le Roi, Gilles Perrault écrit que « le Maroc est une bonne affaire ». L’ami Gilles ne semble pas connaître suffisamment la Tunisie parce qu’elle est plus qu’une bonne affaire. C’est une excellente affaire et sans risque aucun.

Voyons !


Georges le Grec, devenu Mustafa le Tunisien, détenteur de tous les pouvoirs face à un Bey fainéant, réduit à un rôle d’apparat et maître de son seul Harem, devint un véritable dictateur. Vorace, il fait main basse sur le pays et les hommes.


Nous sommes en 1864 : le désordre financier est total, les faillites en série dans le commerce et l’artisanat, le pays est saigné à blanc. Ayant besoin de plus en plus d’argent, l’État double les impôts et, les mauvaises récoltes aidant, met à genoux la paysannerie et l’ensemble de la population. Comme personne n’avait plus rien à perdre, c’est le soulèvement général.


La révolte est réprimée dans le sang, en quelques mois, au prix de massacres et de destructions, ce qui ne fait qu’aggraver la situation. Le pays est exsangue et la soif d’argent de l’Etat n’a plus de limite. Le Khaznadar est obligé de contracter des dettes auprès des pays étrangers, la France, l’Angleterre et l’Italie. puis ce fut  au tour des usuriers d’entrer dans le jeu, mettant le pays en faillite.


Écoutez ce qu’un témoin privilégié de cette époque, Mohamed Bayram Al Khamès, écrit dans une lettre à un ami  (Safouet El Itibar) :

« Si vous voyez l’état des lieux, vous serez terrorisé et vous prendrez la fuite : les loups qui assassinent, les chacals qui rusent à défaire les alliances, les requins, la gueule grande ouverte, pour engloutir les biens. C’est une situation affligeante pour tous ceux qui préfèrent le combat loyal et dont les effets annihilent les plus hautes montagnes et déshonorent les femmes nobles. C’est le pays tout entier qui menace de disparaître. Les cœurs sont saisis d’effroi, l’espoir disparaît, la fin s’approche et tout remède devient impossible ».


Vous connaissez la suite : la commission internationale de contrôle financier, puis la main-mise directe sur le pays, par l’instauration du protectorat français en 1881. Pour une période de 75 ans. L’humiliation coloniale. Une de plus !


Nous sommes actuellement en 1999. Mustafa Khaznadar n’est plus. Notre Khaznadar à nous s’appelle Ben Ali. Il n’est pas étranger au pays, mais a fait de ses concitoyens, des étrangers dans leur propre pays. Il n’est pas non plus un esclave affranchi, mais a fait, au bout de seulement douze ans, des citoyens libres d’une république indépendante, les sujets dociles d’une république bananière.”
Ahmed Manaï, intervention à la la rencontre Tunisie : Torture, Prisons et Prisonniers Politiques du 26 juin 1999  à l’occasion de la Journée internationale des Nations unies en soutien aux victimes de la torture, Paris.


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