par Bruno Jaffré, 21/9/2015
Suite
au coup d’État du 16 septembre du général Diendéré, proche parmi les
proches de Blaise Compaoré, la CEDEAO (Communauté économique de
l’Afrique de l’Ouest), a dépêché au Burkina les présidents Macky Sall du
Sénégal et Yayi Boni du Bénin, pour tenter une médiation.
Les négociations ont commencé le 19 septembre et un accord était
déjà annonce le soir même. Les échos qui transparaissaient laissaient
déjà entrevoir un accord qui semblait tourner le dos à tout ce que le
peuple burkinabè avait pu construire jusqu’ici.

Devant l'Hôtel Laïco, dimanche 20 septembre
Sans attendre, le Balai citoyen avait appelé à un rassemblement
place de la Révolution pour se rendre à l’hôtel Laïco afin de peser sur
les négociations qui s’y déroulaient. Mais des troupes militaires les
attendaient sur place et ils décidèrent d’appeler directement à se
rendre à cet hôtel. Peu à peu se retrouvèrent sur place différents
représentant de la société civile, des partis politiques, des autorités
religieuses, les journalistes et de nombreux diplomates. Dehors, la
foule commençait à se rassembler. C’est alors que des éléments soutenant
les putschistes ont attaqué violemment ceux qui s’y trouvaient,
occasionnant plusieurs blessés. Le calme est finalement revenu après une
intervention musclée des forces de l’ordre. Mais la plupart des
manifestants, se sentant en danger, avaient préféré prendre la fuite.
Le soir le Président de la Commission de la CEDEAO, Kadré Désiré
Ouédraogo, lisait un projet d’accord qui sera soumis mardi 22 septembre,
à un sommet extraordinaire de l’organisation sous-régionale.
1. La libération sans condition des personnalités détenues au cours des événements du 17 septembre.
2. La restauration des autorités de la transition avec Kafando comme président.
3. Le retrait des militaires du gouvernement.
4. La reprise du processus électoral avec les élections au plus tard le 22 novembre
5. La CENI doit prendre toutes dispositions nécessaires pour la tenue de la nouvelle date ;
6. Le gouvernement organisera les élections.
7. Le Conseil national de la Transition s’abstiendra de légiférer dans les matières autres que celles relevant des élections et des conclusions du présent accord.
8. Les personnes inéligibles pourront prendre part aux élections.
9. Toutes les réformes profondes telles que celles liées à la réforme de l’armée seront laissées à l’appréciation du gouvernement d’après transition.
10. La cessation de la violence.
11. Les Forces de Défense et de Sécurité assureront la sécurité des personnes et des biens sur tout le territoire national.
12. L’acceptation du pardon et de l’amnistie pour les conséquences liées à la présente crise.
13. Le comité des médiateurs veillera à l’application de ces recommandations.
Un accord qui reprend l’essentiel des revendications des putschistes et des partisans de Blaise Compaoré
Sans doute, les médiateurs veulent-ils faire croire que l’accord
est équilibré, en rétablissant Michel Kafando comme Président et en
libérant les détenus dont on ne connait ni le nombre, ni les identités.
La seule concession serait donc le départ de Gilbert Diendéré de la
Présidence qu’il s’était attribué. En réalité, cet accord reprend la
revendication des putschistes pour laquelle ils n’avaient pas réussi à
obtenir lors de leur précédente tentative de déstabilisation (voir ici), à savoir le retrait des militaires du gouvernement.
Mais il va encore plus loin ! Il déclare comme nulles et non
avenues, toutes les réformes votées par le CNT, qui ne devrait avoir
pour seule tâche que de préparer les élections. Et que dire de cette
phrase : « Les personnes inéligibles pourront prendre part aux élections » ?
A-t-on jamais vu des diplomates écrire de telles stupidités ? Mais le
ridicule ne semble pas donc pas arrêter nos négociateurs chevronnés. En
réalité, il s’agit là d'une revendication fondamentale des partisans de
Compaoré, qu’ils ont été jusqu’ici les seuls à défendre ! Cet accord ne
serait rien d’autre que la fin de la Transition et de tout l’espoir
qu’elle avait fait naître, la fin des profondes réformes mises en
chantier qui mettaient le Burkina sur les rails d’un véritable
changement.
La plupart des revendications sont donc éminemment politiques.
Gilbert Diendéré et les officiers qui le suivent, certains aux passés de
tortionnaires féroces, comme Ibrahima Kéré (voir ici),
démontrent qu’ils ne sont que le bras armé des hommes politiques
partisans de Blaise Compaoré, qui ont déjà démontré le peu de cas qu’ils
faisaient de la démocratie.

L’amnistie pour des putschistes, la prime à l’impunité
Les raisons de poursuivre Gilbert Diendéré devant la justice de son
pays, comme devant une juridiction internationale étaient déjà
nombreuses. Il est venu rajouter à son macabre bilan, plus d'une
vingtaine de morts pendant l’insurrection. Et selon un journaliste du Pays,
un des quotidiens du pays, l’hôpital Yalgado comptait déjà 17 morts et
108 blessés le 20 septembre au matin. Sans compter les nombreux faits de
violence que racontent les jeunes manifestants.
Comment des présidents d’Afrique peuvent-ils accorder l’impunité à
des putschistes d’un côté, et de l’autre proclamer, que plus jamais
l’Afrique ne doit accepter un coup d’État ?
Gilbert Diendéré, isolé dans son pays, serait-il soutenu à l’extérieur ?
Selon un communiqué de l’AFP, diffusé quelques minutes avant la lecture de l’accord : « Le
président français François Hollande a mis en garde dimanche dans la
soirée ceux qui s'opposeraient au retour au processus de transition au
Burkina Faso, lors d'une conférence de presse donnée à la fin d'un
déplacement de deux jours à Tanger (Maroc). Nous soutenons entièrement
le dialogue engagé par des chefs d'État africains pour revenir au
processus de transition. Je mets en garde ceux qui voudraient s'y
opposer, a-t-il déclaré ». Difficile de penser qu’il n’ait pas été
mis au courant de l’avancement des discussions, alors que l’ambassadeur
de France paraissait très actif à l’hôtel Laïco, et que des fuites
étaient diffusées dès la veille.
La France des réseaux françafricains, n’est pas morte,
contrairement à ce qu’affirment de nombreux « spécialistes « de
l’Afrique. Nous avons déjà souligné les rapports étroits de militaires
français avec le Général Diendéré. Et la France compte encore de
nombreux amis parmi les Présidents dont les pays sont membres de la
CEDEAO.
Selon cette déclaration, le Président français met donc en garde le
peuple burkinabè qui dans l’unité s’oppose d’ores et déjà de toutes ses
forces à cet accord. Il a certes rapidement condamné le coup d’État
mais on aimerait qu’il s’exprime à nouveau sur Gilbert Diendéré. Peut-il
avoir reçu le Président de la Transition Michel Kafando et déclaré
qu’il soutenait la transition qu’il a qualifié d’« exemplaire » du Burkina, et soutenir un accord qui la remet en cause ?
On ne s’étonnera pas que de nombreux présidents du continent
souhaitent faire échec à cette transition qui s’était déroulée dans de
bonnes conditions, au-delà de toutes les difficultés et obstacles
qu’elle avait déjà eus à surmonter. Certains ont du renoncer à se
présenter aux élections. Et ce parlement issu d’une insurrection, dont
la composition fut élaborée par consensus, peut donner des idées jugées
dangereuses aux autres peuples, tant les réformes votées, ou proposées,
pouvaient mettre le pays sur la voie d’une révolution pacifique
progressiste.
L’Union Africaine et le Conseil de Sécurité de l’ONU ont, dès
l’annonce du putsch, publié des condamnations sans appel et pourraient
avoir un avis plus circonstancié sur cet accord s’ils sont cohérents, le
Conseil de sécurité ayant qualifié les putschistes de « terroristes ».

Diendéré accueillant Macky Sall
Des observateurs impartiaux ont pu faire croire à Gilbert Diendéré qu’il serait compris
Malheureusement des observateurs considérés comme impartiaux ont pu
faire croire à Gilbert Diendéré qu’il serait compris. International
Crisis Group (ICG), dont il faut par ailleurs souligner la bonne
connaissance du Burkina, consacre malheureusement une bonne partie de
son rapport à argumenter contre l’ « exclusion » des membres du CDP.
Certes ce parti se trouve privé de candidat aux présidentielles. Mais en
réalité il a pu présenter des candidats aux législatives partout, ceux
qui ont été rejetés ayant pu être remplacés. Le rapport d’ICG prévoyait
que le Conseil Constitutionnel serait submergé, ce qui ne fut pas le
cas. Ce rapport évoque la possibilité d’une intervention des militaires.
On aurait aimé qu’il s’étende sur le passé criminel de Gilbert
Diendéré, et sa responsabilité directe, alors qu’il n’évoque que « certains hommes impliqués dans des crimes de sang ».
Laurent Bigot, le diplomate renvoyé des Affaires étrangères pour
avoir déclaré peu avant l’insurrection que le prochain pays à s’écrouler
serait le Burkina Faso a su se reconvertir en créant un cabinet de
consultant. Il a déclaré dans une interview à RFI : «la transition a tendu le bâton pour se faire battre et avec la complicité de la communauté internationale » rappelant qu’il avait annoncé en juillet que « l’exclusion des candidatsaux élections législatives et présidentielle posait les jalons de la future crise ». Il aurait donc voulu que la communauté internationale sanctionne la transition ?
Ces deux observateurs n’ont pas entièrement tort en prévoyant une
crise, nous l’avons prévue aussi. Mais ils s’adressent à ceux qui les
financent, des décideurs, chefs d’entreprises, diplomates ou hommes
politiques. Leur analyse propose de perpétuer une injustice, laisser se
présenter des représentants d’un parti qui ont pillé le pays et mené à
une insurrection. À l’aide de moyens illimités ils avaient la
possibilité de dénaturer les élections, au détriment finalement de
l’aspiration des insurgés et de l’ensemble des autres partis politiques.
En réalité, leur raisonnement consiste en un renversement de perspective. Gilbert
Diendéré n’est pas dangereux parce que la transition aurait fait une
erreur. Il est dangereux tout court, comme le démontre son lourd passé
de déstabilisateur et de criminel !
Le peuple n’a pas dit son dernier mot
À l’heure où nous écrivons, difficile de savoir qui a vraiment
participé à la négociation. On imagine mal des représentants de la
société civile souscrire à un tel accord si ce n’est celles crées par le
CDP, encore moins un parti de l’ex-opposition. Alors qui a négocié ?
Les deux présidents avec Diendéré ? Qui peut croire à la viabilité d’un
tel accord ? Peu de réactions officielles étaient publiées jusqu'ici.
Michel Kafando ne s’est pas encore exprimé.
Selon le correspondant de l’ AFP, « C’est honteux ce qu’a proposé la Cédéao, j’ai honte d’être Africain, a déclaré Me Guy-Hervé Kam visiblement très en colère »… et Roch Marc Christian Kaboré, candidat du MPP, un des favoris aux élections « ne se montrait pas plus enthousiaste » et rappelait « que
la question de l’inclusion des candidats pro-Compaoré exclus aux
élections est une question qui a été tranchée par le Conseil
constitutionnel, dont les décisions sont sans recours ». Quant à
Benewendé Sankara, le candidat sankariste aux élections
présidentielles, s’inquiétant de ce qui se tramait, il avait appelé
avant même que l’accord ne soit signé « à résister activement contre le coup de force du Général Gilbert Diendéré ».
Les réactions lues sur facebook ce matin, montraient que cet accord
avait remonté ceux qui s’y opposaient. Il n’est pas signé et ils
entendent bien montrer que le pays tout entier s’y oppose. Cheriff Sy,
le Président du CNT, publie presque quotidiennement des déclarations.
Il avait dès hier rejeté l’accord terminant ainsi sa déclaration :
«Les seuls points qui méritent d’être pris en compte par toutes les parties devront être1- La remise en place des institutions de la Transition avec toutes les missions et tous les pouvoirs à elles dévolues par la Constitution de notre pays et la Charte,
3- L’arrestation du général Gilbert DIENDERE ainsi que des officiers que sont ralliés à sa forfaiture pour qu’ils répondent de leurs actes.
Aucun autre point n’est négociable. Autrement, notre peuple continuera de lutter jusqu’au prix de sa vie.».
Selon les images diffusées sur facebook, il semble bien que de
nombreuses villes de province échappent aux putschistes. A Ouagadougou
que contrôle, en partie seulement, le RSP, les appels à manifester sont
d’ores et déjà lancés. Les syndicats, très représentatifs au Burkina
Faso, et particulièrement combatifs, ont appelé à la grève générale.
Les jours qui viennent vont être déterminants. Du côté des jeunes du
Balai citoyen, on proclame que c’est la dernière étape avant la victoire
définitive contre les partisans de Blaise Compaoré, qualifiés « d’apatrides mus par les forces du mal ».
Les Burkinabè, qui ont plus que jamais besoin de notre solidarité,
attendent, avec leurs amis français, du gouvernement français qu’il se
prononce très clairement contre cet accord qui donne raison aux
putschistes.

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