DÉCLARATION DU PRÉSIDENT DE LA RECOWA-CERAO
(Regional Episcopal Conference Of West Africa –Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest)
par Mgr. Théodore Adrien Cardinal SARR, Archevêque de Dakar, 22 avril 2011
1. Dans toutes leurs églises à travers le monde, les chrétiens catholiques ont célébré, hier Jeudi 21 Avril 2011, la scène si parlante du Lavement des pieds de ses Apôtres par Jésus–Christ. Lui le Seigneur et le Maître, à genoux devant chaque disciple pour lui laver les pieds, nous a adressé un enseignement des plus éloquents sur le Pouvoir, qui est et doit toujours être service des autres, et non service de soi.
Méditant cette scène évangélique, nous n’avons pu nous empêcher de repenser aux récents et bien tristes évènements de la Côte d’Ivoire, et à toutes les dérives de la soif démesurée du Pouvoir en Afrique et ailleurs dans le monde.
En communion avec les Evêques membres de la Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest, la RECOWA-CERAO, j’adresse la présente Déclaration aux chrétiens et aux citoyens des pays de notre Afrique de l’Ouest, à leurs dirigeants, ainsi qu’à ceux du monde.
Devant l’effroyable gâchis humain, auquel nous avons tous assisté, à travers les évènements de la Côte d’Ivoire et de la région, l’Eglise manquerait à sa mission prophétique, si sa voix se taisait par timidité, par lâcheté, ou par compromission.
2. Nous condamnons fermement et sans réserve toutes les dictatures et tous les impérialismes, quelles que soient leurs couleurs. L’Eglise protestera toujours contre tous ceux qui abusent d’un pouvoir, qui leur est confié. Elle protestera toujours contre toutes les dictatures et les impérialismes ; elle protestera toujours contre tous les pouvoirs absolus et corrompus. Elle protestera toujours contre la soif démesurée du pouvoir, qui amène les dérives de toutes sortes. Elle désapprouvera toujours les chefs d’Etat, qui s’installent présidents à vie, et organisent des élections souvent frauduleuses, pour se maintenir au pouvoir.
Fidèles à l’enseignement de Jésus–Christ, nous proclamons haut et fort : « Pas de pouvoir pour soi, mais le pouvoir pour son peuple ! Pas de pouvoir pour se servir, se faire servir ou être servi, mais le pouvoir pour servir les autres ! »
Nous rappelons aux hommes politiques qu’ils ne peuvent détenir un pouvoir absolu, mais un pouvoir régulé par des valeurs et des normes supérieures, telles la paix du pays, le devoir de prévenir et soulager les souffrances des populations, le respect absolu de la vérité des urnes… Nous sommes pour le respect absolu des lois démocratiques et de la volonté du peuple, qui s’exprime à travers les urnes électorales.
3. Le cinquantième anniversaire de l’indépendance de plusieurs pays africains à peine célébré, nous venons d’être témoins des bien tristes évènements de la Côte d’Ivoire et d’ailleurs, parmi lesquels le piétinement et même la destruction des symboles de la dignité et de la souveraineté d’une Nation…
De tels évènements doivent amener tout un chacun à s’interroger sur le droit d’ingérence, ou le droit d’intervention humanitaire au nom de la Communauté internationale. Au nom de notre mission prophétique, nous rappelons, à l’Union Africaine et à l’Organisation des Nations Unies, l’urgence d’élaborer des normes admises par tous, pour préciser les conditions acceptables de toute ingérence politique ou intervention humanitaire dans un pays souverain, afin que soient évitées à tout prix l’application de la loi des plus forts, ou de la loi des deux poids deux mesures, ou encore la promotion camouflée d’intérêts particuliers sous couvert de la Communauté des Nations.
4. Et maintenant, au nom de Dieu qui « nous a donné pour ministère de travailler à la réconciliation » (2 Co 5, 16-21), et dans le sillage du deuxième Synode Africain, qui a eu pour thème « l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix », nous lançons un appel pressant à tous les responsables politiques et religieux. Qu’ils mettent en œuvre sans délai toutes les ressources éthiques de leur capital social et religieux, pour la tâche de longue haleine, que sera la construction de la paix véritable, par la promotion de la justice et de la réconciliation ; cette paix dont le siège reste le cœur de chaque homme et de chaque femme.
Nous souhaitons que ces responsables soient les premiers acteurs de la ?Commission Vérité et Réconciliation?, qui ne devrait pas tarder à être créée. Nous affirmons, avec le Pape Benoît XVI, que « la violence et la haine sont toujours un échec », et constituent « un chemin sans avenir ».
5. Méditant aujourd’hui, Vendredi 22 Avril 2011, la Passion et la Mort de Jésus-Christ, l’Innocent arrêté, condamné, maltraité et exécuté injustement, nous prions et appelons à la prière pour toutes ces populations de la Côte d’Ivoire, victimes d’exécutions absurdes, ou de pillages honteux, forcées pour beaucoup à l’exil, hors de leur région ou de leur pays.
La guerre est une injure à la sainteté de Dieu. Nous implorons sa miséricorde, tant sur les victimes que sur les bourreaux. Nous lui demandons d’accorder à tous la transformation des cœurs, qui rend possibles la reconnaissance des fautes, le pardon, la réconciliation et la paix.
6. Enfin, nous en appelons vivement à la solidarité active de tous les chrétiens, de toutes les communautés chrétiennes, et de toutes les populations de l’Afrique de l’Ouest ! Nous recommandons en particulier, aux responsables religieux, l’organisation urgente de collectes, dont les produits seront envoyés immédiatement aux structures appropriées de la Côte d’Ivoire, pour le soulagement de tant de souffrances humaines.
7. Les évènements que nous venons d’évoquer et beaucoup d’autres, en Afrique et dans le monde, pourraient conduire à désespérer, à pleurer sur notre condition humaine, parfois si mesquine et si misérable. Nous chrétiens, nous nous préparons à célébrer Pâques, fête de la Résurrection de Jésus-Christ. Accueillant et laissant grandir en nous l’amour de Celui, qui nous a aimés jusqu’au bout, en donnant sa vie pour nous sauver, laissons-nous pousser par son Esprit sur les chemins de la réconciliation, de la solidarité, de l’amour fraternel et de la paix, pour construire l’Afrique nouvelle, que nous attendons de tous nos vœux.
« Afrique, lève-toi, prends ton destin en mains, et marche !» (Message de la deuxième Assemblée spéciale du Synode des Evêques – octobre 2009).
Fait à Dakar, en ce Vendredi Saint
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