Berlin
et Bruxelles ont profité du sommet UE-Afrique (2 et 3 avril 2014) pour
élargir leurs activités politico-militaires sur le continent africain.
Outre des décisions relatives à l’intervention militaire de l’UE en
République centrafricaine, des négociations visant à poursuivre
l’extension des structures de sécurité sous contrôle européen étaient au
programme.
Angie avec Meles Ier d'Ethiopie à Bruxelles. Photo: Bundesregierung/Kugler
Ces mesures sont censées aider les forces armées africaines à
mettre en pratique les conceptions de « l’ordre » en vigueur à Berlin et
Bruxelles : il n’est pas nécessaire d’envoyer ses propres troupes pour
« assurer sa présence et une position d’observateur dans une région en
crise » et y défendre ainsi son influence, estiment les experts. Dans
cette optique, l’Allemagne soutient l’Union africaine dans l’édification
de ses structures militaires et participe à des « missions de
formation » en Somalie et au Mali; d’autres actions pourraient être
entreprises dans le golfe de Guinée, pour lutter contre la piraterie,
selon un document de travail.
Des experts font remarquer que des interventions armées
euro-allemandes sont prévues en Afrique malgré l’engagement des forces
armées africaines. Les activités militaires de l’UE visent à garantir
l’influence occidentale sur le continent, face à la Chine.
Intervention en République centrafricaine
Les activités militaires européennes sur le continent africain
constituent l’un des points forts du sommet euro-africain. Dès le 2
avril, un mini-sommet en marge de la rencontre devait donner le signal
de l’intervention européenne en Centrafrique. Récemment la crise de
Crimée avait provoqué des retards notables, car elle avait poussé
certains pays européens de l’Est à refuser d’envoyer leurs troupes en
Afrique.
La France s’est déclarée prête à combler les lacunes ainsi causées.
L’Allemagne mettra à disposition deux avions pour le transport des
troupes et du matériel de guerre ainsi qu’un avion sanitaire ; en outre
des militaires allemands (jusqu’à 10) seront envoyés au quartier général
stratégique des troupes européennes à Larissa (Grèce ; « Operation
Headquarters », OHQ) et au quartier général opérationnel de Bangui
(« Force Headquarters », FHQ). L’unité européenne doit empêcher les
parties en présence dans la guerre civile de continuer à se battre et
être rapidement remplacée par des unités africaines. Tandis que Paris
cherche à rester la « puissance chargée du maintien de l’ordre » dans
ses ex-colonies, Berlin n’a pas d’intérêts stratégiques en Centrafrique.
(1)
L'initiative "Eunable and eunhance"* ou : E2I
Au-delà ces questions de politique actuelle, le programme du sommet
Afrique-UE prévoyait des négociations en vue de poursuivre l’extension
des structures de sécurité africaines. Elles correspondaient à un
concept qui n’a pour l’essentiel rien de neuf, débattu actuellement au
sein de l’establishment berlinois sous le nom
de «Ertüchtigungsinitiative» [Initiative de promotion et de
renforcement] ou - un peu plus mode - «Enable and Enhance Initiative
(E2I) ». Comme le confirme la dernière édition de la revue spécialisée
« Internationale Politik (Politique internationale) », la
Chancelière Merkel défend ce concept avec grande énergie depuis 2011 :
« L’UE et l’OTAN ne pouvant résoudre à elles seules tous les problèmes
de politique sécuritaire, il est nécessaire d’engager aussi la
responsabilité de partenaires régionaux. » - c’est un extrait du
discours prononcé par la Chancelière à l’automne 2012 lors du séminaire
annuel du commandement de la Bundeswehr et publié par Internationale Politik.
La revue rappelle explicitement que l’implication d’États africains dans le « maintien de l’ordre » sous surveillance européenne n’entraîne pas une perte de contrôle : « Le savoir-faire apporté par les partenaires européens (...) doit permettre à ces derniers d’être présents dans les régions en crise et d’y jouer un rôle d’observateur», ce qui permettrait d’obtenir « des informations sur les structures internes» et ainsi de garantir « les liens avec des partenaires commerciaux actuels ou potentiels. » (2)
La revue rappelle explicitement que l’implication d’États africains dans le « maintien de l’ordre » sous surveillance européenne n’entraîne pas une perte de contrôle : « Le savoir-faire apporté par les partenaires européens (...) doit permettre à ces derniers d’être présents dans les régions en crise et d’y jouer un rôle d’observateur», ce qui permettrait d’obtenir « des informations sur les structures internes» et ainsi de garantir « les liens avec des partenaires commerciaux actuels ou potentiels. » (2)
Manœuvres dans le Golfe de Guinée
Une intervention actuellement envisagée dans le Golfe de Guinée
doit éventuellement servir de test pour le concept « E2I », qui à
l’initiative de l’Allemagne a été inclus dans la déclaration finale du
sommet européen de décembre 2013. Dans cette zone il arrive que des
pirates abordent des navires de commerce - et il paraît qu’il est urgent
de mettre un terme à ces pratiques. Et pour cela avoir éventuellement
recours à certains États africains, selon un document interne cité par
la revue Internationale Politik : L’UE doit les « aider à mettre
au point une stratégie régionale de lutte contre la piraterie et les
abordages » et soutenir « la mise en place de capacités dans les
domaines de la coordination, de la coopération et de
l’interopérabilité ».
« Des manœuvres communes aux forces armées africaines et européennes » pourraient elles aussi être utiles, par exemple les manœuvres sous commandement US-américain « Obangame Express 2014 (OE-14)» se déroulant dans la région , auxquelles la marine de guerre allemande participe depuis le mois d’avril. Ensuite on pourrait mettre au point « sur le long terme un programme anti-piraterie européen dans le golfe de Guinée : dans le cadre de la politique militaire de l’UE (GSVP), en s’appuyant sur les forces armées régionales et sans que l'UE soit contrainte d’exposer au danger ses propres soldats. (3)
« Des manœuvres communes aux forces armées africaines et européennes » pourraient elles aussi être utiles, par exemple les manœuvres sous commandement US-américain « Obangame Express 2014 (OE-14)» se déroulant dans la région , auxquelles la marine de guerre allemande participe depuis le mois d’avril. Ensuite on pourrait mettre au point « sur le long terme un programme anti-piraterie européen dans le golfe de Guinée : dans le cadre de la politique militaire de l’UE (GSVP), en s’appuyant sur les forces armées régionales et sans que l'UE soit contrainte d’exposer au danger ses propres soldats. (3)
Structures de sécurité de l’Union africaine
Dans la même optique, Berlin apporte depuis plusieurs années son
soutien à la mise en place par l’Union africaine d’infrastructures de
sécurité. Pour la seule période 2008-2014, le ministère des Affaires
étrangères a fourni 159 millions d’euros pour « l’African Peace and
Security Architecture ». Il s’agissait de favoriser la mise en place et
l’extension de centres d’entraînement régionaux de l’armée et de la
police, en particulier le « Kofi Annan International Peacekeeping
Training Center » (KAIPTC) à Accra (Ghana), qui a été inauguré le 24
janvier 2004 en présence de Gerhard Schröder, alors chancelier
allemand ; à l’époque l’Allemagne avait déjà apporté une aide
financière.
Schröder et le Président Kufuor inaugurent le KAIPTC
Berlin soutient la mise en place de la composante
policière des « African Standby Forces (ASF, "Forces africaine en
attente") » et organise la formation et l’entraînement de policiers
africains dans le cadre du « Programme africain pour la police » de
l’Agence allemande de coopération internationale GIZ (4). À la
mi-février le Conseil franco-allemand de défense et sécurité a déclaré
que le sommet Afrique-UE des 2 et 3 avril devait renforcer les
« capacités » de l’Union africaine en matière de sécurité (5).
La répartition des "Forces africaines en attente" en train d'être mises en place
La semaine précédente, le ministre allemand des Affaires étrangères, en visite à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie et siège de l’Union africaine, a justement déclaré que Berlin « accroîtrait à l’avenir son aide à la formation des forces de sécurité.»
Steinmeier a visité à Addis-Abeba un bâtiment en construction de
l’Union africaine, financé par l’Allemagne à hauteur de 27 millions
d’euros et construit avec l’aide du GIZ. Il doit être achevé fin 2014 et
abriter la « Division pour la paix et la sécurité » de l’Union
africaine ainsi que son « Conseil pour la paix et la sécurité » et un
centre de veille et de réaction. (6)
Frank-Walter Steinmeier caresse "Molle", le célèbre lion empaillé du Palais national à Addis Abeba
Entraînement militaire en Somalie et au Mali
Pour impliquer les forces autochtones dans le maintien de
« l’ordre » tel que le conçoivent l’Allemagne et l’Europe, la Bundeswehr
participe depuis un certain temps déjà à des « interventions de
formation » : des militaires allemands entraînent des soldats somaliens
(d’abord en Ouganda, désormais à Mogadiscio) et maliens, le tout dans le
cadre d’interventions de l’UE (EUTM Somalie et EUTM Mali). Et - ainsi
que le fait remarquer la revue Internationale Politik - ces deux
« missions de formation » montrent que la tentative de pratiquer des
activités militaires de « maintien de l’ordre » avec l’aide des forces
africaines n’ira pas sans un engagement sanglant de la part de l’UE :
les exercices d’entraînement sont fondamentalement « destinés
parallèlement à une intervention vigoureuse de protection et de
stabilisation. »(7) En janvier, Berlin a du reste annoncé que la
Bundeswehr interviendrait plus souvent en Afrique. (8) Simplement, la
lutte pour le pouvoir en Ukraine a provisoirement fait passer cette
affaire au second plan.
Eh bien alors, d’une autre façon
L’extension des activités militaires euro-allemandes en Afrique se
place à un moment où, d’une part, les USA se préparent à se mesurer à la
Chine et soutiennent donc par principe les tentatives de « maintien de
l’ordre » de l’UE et de l’Allemagne sur le continent africain, dont ils
souhaitent à long terme se désengager un peu. D’autre part, l’Allemagne
et l’UE perdent de leur influence économique en Afrique, surtout face à
la Chine : les investissements chinois en Afrique et les échanges
commerciaux de la République populaire avec ce continent s’accroissent
rapidement ; dès 2013 le commerce sino-africain s’élevait en valeur à
150 milliards d’euros, alors que le volume du commerce allemand avec
l’Afrique subsaharienne n’atteignait que 26,6 milliards. Selon divers
observateurs (9), l’Afrique pourrait « gagner de la confiance en soi »,
n’étant « plus condamnée à n’avoir que l’UE pour seul partenaire. » Pour
l’Allemagne et l’UE, la perte de leur prépondérance économique va de
pair avec un effort pour garantir leur position en Afrique- par des
moyens militaires.
*En anglais sur tous les documents officiels, y compris du Ministère français de la Défense
Notes
(1) Voir à ce sujet Deutschland 001.
(2)
Jana Puglierin, Sebastian Feyock, Yvonne van Diepen: Former au lieu de
détourner les yeux. Une initiative allemande pour améliorer le GSVP. Internationale Politik mars-avril 2014
(4) Paix et sécurité en Afrique www.auswaertiges-amt.de.
(5) Déclaration du Conseil franco-allemand de défense et sécurité www.auswaertiges-amt.de. 19.02.2014
(6) Éthiopie : Création d’une architecture de la paix et de la sécurité en Afrique : www.auswaertiges-amt.de. 27.02.2014
(7) Jana Puglierin, Sebastian Feyock, Yvonne van Diepen: Former au lieu de détourner les yeux. Une initiative allemande pour améliorer le GSVP. Internationale Politik, mars-avril 2014
(7) Jana Puglierin, Sebastian Feyock, Yvonne van Diepen: Former au lieu de détourner les yeux. Une initiative allemande pour améliorer le GSVP. Internationale Politik, mars-avril 2014
(9) L’Europe et l’Afrique discutent de libre-échange www.dw.de 31.03.2014.
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