par Ali Idrissa (ROTAB, Publiez Ce Que Vous Payez - Niger), Gustave Massiah
(Cedetim), Mireille Fanon Mendès-France (Fondation Frantz Fanon),
Makaila Nguebla (journaliste tchadien), Issa N'Diaye (ancien ministre
malien), Ramatou Soli (GREN Niger), Fabrice Tarrit (Président de
Survie).
Tribune publiée par L'Humanité du 5/12/2013
Décidé et convoqué par François Hollande, le « Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique » se tiendra les 6-7
décembre à Paris, rassemblant la plupart des chefs d’État africains, y
compris les plus infréquentables.
Si au fil des années des efforts ont été déployés pour masquer la
dimension néocoloniale des sommets « France-Afrique », désormais
dénommés « Afrique-France » et ouverts à des organisations
internationales, l’intitulé de ce « Sommet de l’Elysée » ne cherche même
pas à masquer le poids toujours aussi prépondérant de l’exécutif
français dans la conduite de certains dossiers africains.
Malgré des écrans de fumée (organisation d’un événement sur le
développement durable, d'une réunion des « Premières dames d'Afrique »
sur les violences faites aux femmes), le but de cette séquence
diplomatique, ouverte par le 4 décembre à Bercy, par un Forum sur le
modèle économique de partenariat entre l’Afrique et la France et conclue
par un « mini-sommet sur la Centrafrique » est bien de consolider la
puissance économique, diplomatique et militaire de la France sur le
continent.
Ce rôle de « gendarme de l'Afrique » est contesté par une part
croissante de l’opinion et par des représentants de la société civile
française et africaine qui ont pris l’habitude d’organiser en
contre-point des sommets France-Afrique des temps d’échange et de
revendication. Il y a 15 ans, en 1998, alors que le Sommet du Louvre
avait « la sécurité » comme thème principal, un contre-sommet avait été
organisé, dénonçant l' « insécurité à la base » provoquée par les
dérives de la Françafrique. Quinze ans plus tard, la plupart des
despotes de l’époque sont toujours aux responsabilités (Idriss Déby,
Denis Sassou Nguesso, Blaise Compaoré, Paul Biya) ou ont été remplacés
par leurs fils (Ali Bongo, Faure Gnassingbé). Tout en en prétextant
vouloir renforcer les capacités des troupes africaines, dans l’esprit du
dispositif RECAMP inauguré en grande pompe lors du Sommet du Louvre, la
France poursuit ses interventions unilatérales en Afrique en les
faisant cautionner par les institutions multilatérales (ONU, UA). Elle
mobilise au passage des armées supplétives africaines comme l'armée
tchadienne, dont l'intervention au Mali a redonné une stature
diplomatique favorable au président Déby, pourtant impliqué dans la
déstabilisation et la crise humanitaire dramatique que connaît
aujourd'hui la Centrafrique. La faiblesse des organisations
sous-régionales et internationales dans le règlement de telles
situations entraîne ce cruel paradoxe qui voit les forces françaises et
tchadiennes apparaître à beaucoup comme le seul recours efficace, quand
bien même ces dernières ont une responsabilité écrasante dans
l'aggravation de certaines situations humanitaires, qui ont toujours des
racines politiques.
Ce positionnement en première ligne de la France dans des
interventions menées « au nom des droits de l’Homme » ou du « devoir de
protection des populations » en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali et
aujourd’hui en Centrafrique, camoufle ainsi les conséquences néfastes de
plus de 50 années de soutien à des dictateurs africains et
d’interventions armées généralement menées à leur profit ou à celui des
intérêts stratégiques français, qui ont largement contribué à
l’instabilité de certaines zones du continent. Le bilan de ces
interventions n’a jamais été dressé, sinon par les militaires eux-mêmes
qui ont opportunément saisi le prétexte de l’intervention au Mali pour
convaincre le Parlement français de maintenir leurs crédits et renforcer
le pré-positionnement de forces françaises en Afrique. Ils sont
soutenus dans cette stratégie par des travaux parlementaires publiés
opportunément à quelques jours du Sommet et du vote de la nouvelle Loi
de programmation militaire. On a même pu voir dans ces travaux des élus,
tels l'ancien Ministre de la coopération Jean-Marie Bockel et l'ancien
conseiller Afrique de François Mitterrand Jeanny Lorgeoux, réclamer le
retour d'une cellule africaine à l’Élysée et la création de nouvelles
bases militaires en Afrique.
A l’heure où une nouvelle intervention française en Afrique a été
décidée en dehors de tout contrôle parlementaire et débat public, la
mobilisation de la société civile reste plus que jamais nécessaire. Le
retour en grâce de l’idéologie légitimant les interventions françaises
en Afrique peut et doit être combattu, à condition que le
contre-discours citoyen tentant d'éclairer les zones d'ombres dans le
jeu des puissants et des cyniques puisse être entendu, ce qui n'a
quasiment pas été possible depuis le début de la guerre au Mali. Il n'y a
pas qu'en Afrique que le poids de l'influence des militaires sur les
institutions et le débat public présente une menace pour la démocratie.
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