Après quelques atermoiements et une déclaration supposée
offensive sur l’absence de démocratie en RDC destinée à atténuer
d’éventuelles critiques, François Hollande se rendra samedi à
Kinshasa pour participer au sommet de l’OIF. Avec pour enjeu,
sous couvert de promotion de la langue française et des valeurs
républicaines, l’affirmation de la domination économique,
politique et militaire de la France vis à vis de ses
« partenaires » africains.
En langue de bois, la langue la plus courante dans les
enceintes diplomatiques, « dictateur » se dit « chef
d’Etat élu au terme d’un scrutin entaché de quelques
irrégularités », se compromettre avec des régimes
corrompus et répressifs se défend par la volonté de « ne pas
pratiquer la politique de la chaise vide ». « État en
déliquescence et en proie à la violence » se dit « Etat
fragile » ou, si l’on veut se montrer un peu plus
offensif, « Etat où la situation de la démocratie et des
droits de l’Homme est inacceptable ».
En acceptant de participer au sommet de l’Organisation
Internationale de la Francophonie de Kinshasa, et donc de se
rendre sur les terres de Joseph Kabila, l’un des pires
dictateurs du continent, imposé par les armes, la répression des
opposants et la violation des urnes (à l’exemple de la mascarade
électorale de novembre 2011), le Président de la République
semble cependant bien enterrer définitivement ses promesses d’en
finir avec le système de la Françafrique. Ce ne sont pas sa
petite déclaration sur l’état des droits de l’Homme en RDC et
quelques aménagements cosmétiques affichés dans le programme du
déplacement présidentiel (escales à Dakar, rencontre d’opposants
congolais) qui atténueront le choc du symbole. Celui de voir une
nouvelle fois un chef de l’Etat français s’afficher aux côtés
d’un parterre de chefs d’Etat supposés unis par une langue en
partage, quand le terreau commun d’un bon nombre d’entre eux est
la corruption et l’oppression, dans le cadre d’un Sommet de
l’organisation porte-étendard de l’influence française qu’est la
Francophonie.
De simple agence de coopération culturelle et technique (ACCT),
en 1970, l’Organisation internationale de la Francophonie s’est
muée de sommet en sommet en enceinte politique, avec la
nomination d’un secrétaire général, l’adoption d’une Charte et
un élargissement constant à des pays comptant parfois très peu
de locuteurs français mais qui voient un grand intérêt à
intégrer l’amicale des chefs d’Etat francophones, espace de
solidarité politique à défaut d’être un vrai outil d’échange
culturel et linguistique.
Malgré l’adoption de textes sur la défense de la démocratie, à
l’instar de la déclaration de Bamako de 2000, l’OIF a en effet
servi tout au long de son existence à conforter des dictateurs
en place, tenant ses sommets à Brazzaville ou à Ouagadougou,
envoyant des délégations complaisantes « observer » certaines
élections (160 missions sur une vingtaine d’années, dont bien
peu ont nourri la chronique pour leur esprit critique, à
l’exemple de la caution apportée en octobre 2011 à l’élection
présidentielle au Cameroun) ou acceptant dans ses rangs des
dictateurs anglophones isolés politiquement.
Parmi les volets moins connus de l’activité de l’OIF figure
également la « prévention des conflits », consacrée par
la déclaration de Saint-Boniface, adoptée par l’OIF en mai 2006.
Présenté comme un secteur de plus en plus stratégique pour cette
organisation lors d’un colloque de l’OIF en 2009 à l’IRIS,
s’appuyant principalement sur des activités de formation, ce
glissement militaire de la Francophonie fait surtout redouter un
nouvel habillage multilatéral de l’interventionnisme militaire
français, en supplément des cadres onusien, européen (Eufor) ou
de dispositifs comme RECAMP.
Ce déplacement intervient dans un contexte d’accélération du
positionnement de l’exécutif français sur le terrain des
relations franco-africaines, avec pour point focal la crise au
Mali, qui alimentera à n’en pas douter les échanges formels et
informels entre la délégation française et les chefs d’Etat
africains présents à Kinshasa. Il serait à cet égard intéressant
de savoir si le Président de la République osera parler de
« situation des droits de l’Homme inacceptable » dans un pays
comme le Tchad, dont la France négocie le soutien militaire à
une intervention au Mali.
François Hollande et son gouvernement auront donc réussi
l’exploit de s’approprier en quelques mois seulement toutes les
composantes diplomatiques, politiques, monétaires et militaires
de la Françafrique. Le terrain économique avec la promotion des
intérêts d’Areva auprès du président nigérien Issoufou, reçu 11
juin dernier. Le terrain politique et diplomatique, avec les
déplacements de ministres français au Tchad et au Burkina Faso
fin juillet et l’accueil à l’Elysée d’Ali Bongo, Alassane
Ouattara et Blaise Compaoré en l’espace de deux mois. Le volet
militaire, avec pour point d’orgue l’activisme français dans les
couloirs de l’ONU à New York pour imposer une intervention
militaire dans le Sahel pilotée par la France. Et bien sût le
volet monétaire, avec la célébration à Paris des 40 ans du franc
CFA le 5 octobre dernier.
Ne manquait plus qu’un sommet de l’OIF pour, le temps d’une
petite photo de famille, d’un discours de circonstance sur les
valeurs et les droits à défendre (il est toujours utile d’animer
un peu les repas de famille) et de quelques échanges avec des
associations et opposants, continuer d’apporter du crédit à une
organisation supposée linguistique qui n’a toujours été qu’un
outil d’influence.
En langue de bois diplomatique, il est certes plus convenable
de dire « Francophonie » que « Françafrique ».
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