par AFASPA, Sortir du colonialisme, Survie, 10/2/2013
Depuis
le 10 janvier 2013, la France est entrée en guerre au Mali. La propagande du
gouvernement français, tend aujourd’hui à légitimer par tous les moyens cette
nouvelle intervention militaire française sur le sol africain et son rôle de
"gendarme de l’Afrique" dans ses anciennes colonies africaines. Il
est de notre devoir en tant qu’anticolonialistes et partisans de la solidarité
internationale des peuples de faire toute la lumière sur l’opération Serval.
1°)
Sur la base de quel mandat cette guerre a-t-elle été déclenchée ?
Cette
intervention directe a été décidée dans l’ombre, sans consultation préalable du
Parlement et ne s’inscrit pas dans le cadre des résolutions de l’ONU
contrairement à ce que tente de nous faire croire le gouvernement. Une fois de
plus, la France joue le rôle de gendarme de l’Afrique, en s‘appuyant sur la
présence permanente de son armée dans la région. C’est le dispositif Épervier,
en place au Tchad depuis 1986 alors qu’il était supposé provisoire, qui est
mobilisé. À travers l’opération baptisée Serval, ce sont donc les liens que
Paris entretient avec des dictatures, celles entre autres, d’Idriss Déby et de
Blaise Compaoré, qui se trouvent une nouvelle fois renforcés.
2°)
Comment en est on arrivé là ?
Le
prétexte de cette intervention militaire française est la lutte contre les
groupes armés maffieux et djihadistes qui contrôlent une partie du territoire malien.
Ces groupes fanatiques font régner la terreur dans les zones qu’ils contrôlent
et nous n’avons aucune indulgence pour eux. Il faut les stopper. Cependant leur
présence et la facilité avec laquelle ils se sont déployés, traduisent deux
faits majeurs :
- L’existence de
profonds problèmes sociaux, économiques et politiques, que les régimes au
pouvoir au Mali, sous contrôle de la France, n’ont pas résolus, quand ils ne
les ont pas aggravés par leur gestion du pays. Au Mali, un régime corrompu
s’est plié aux injonctions du libéralisme économique et s’est montré inopérant
à assumer les responsabilités de l’Etat en matière sociale, éducative et de
sécurité. Les revendications portées par une partie de la population touareg
n’ont jamais trouvé de réponse satisfaisante depuis le temps des «
indépendances ». En 1984 la Françafrique impose au Mali son retour au Franc
CFA. Le 11 janvier 1994, la dévaluation de 50 % de cette monnaie imposée par la
France à ces pays va considérablement aggraver leur situation économique.
L’étranglement financier des Plans d’Ajustement Structurels imposés par le FMI
et la Banque mondiale, a contribué au démantèlement de l’Etat malien. La dette
et son remboursement continuent d’être les instruments d’une paupérisation des
populations.
- L’intervention
militaire franco-britannique en Libye dont les conséquences furent la
dissémination d’armes dans la région et le reflux au Mali de milliers de
mercenaires a engendré le chaos et l’occupation du Nord du Mal par ces groupes
armées.
C’est
dire qu’une solution militaire, a fortiori, une intervention militaire
étrangère, ne résout aucun de ces problèmes, bien au contraire.
3°)
La France, sous couvert de l’aide au peuple malien, défend au Sahel ses
intérêts privés stratégiques
Le
Sahel est une région de matières premières riches et encore largement
inexploitées. La France y a des intérêts stratégiques: pétrole, uranium,
ressources énormes en eau souterraine, terres cultivables, or, fer, bauxite…
Tout cela est convoité par les multinationales françaises, qataries,
américaines… Sans oublier la plate-forme aéroportuaire de Tessalit (près de
Kidal), utile pour surveiller et contrôler toute la région du Sahel, la
Méditerranée, la mer Rouge. Cinq bassins de gaz et de pétroles recèlent un
potentiel important. La Mauritanie a elle aussi des richesses pétrolières non
encore exploitées. Présent dans ces pays, Total y multiplie les opérations
d’exploration. Le Niger revêt un aspect stratégique pour le nucléaire français
puisqu’Areva y exploite ses mines d’uranium, provoquant en même temps un
désastre écologique de très grande ampleur, dont les populations locales sont
les premières victimes.
4°)
La Françafrique, ce n’est pas fini !
La
France, malgré toutes les déclarations vertueuses sur « la fin de la Françafrique
», conduit une fois de plus une
opération dans son pré carré
traditionnel. Depuis la « décolonisation », c’est la 53ème intervention de
l’armée française sur le continent dont on peut apprécier les résultats. Elle
peut se déployer tout simplement parce qu’elle dispose de bases militaires dans
cinq pays de la région. Nous devons en terminer avec cette fonction de gendarme
autoproclamé de l’Afrique. L’intervention militaire et la guerre par
procuration renforcent la dépendance des pays africains. Ce choix permet à la
France de maintenir son influence géopolitique dans la région, et de préserver
des intérêts privés face aux différents appétits d’autres acteurs économiques
internationaux. La crise malienne et cette nouvelle intervention militaire française
en Afrique révèlent l’échec de 50 années de "coopération" avec
l’Afrique : armées incapables de protéger leurs populations, chefs d’Etat
médiateurs de crises, eux-mêmes putschistes, accords de défense et bases
militaires qui ont perpétué la domination de la France sur ses anciennes
colonies. Ces événements appellent une fois de plus à une remise en cause de
l’ensemble du cadre des relations franco-africaines. La Françafrique ce n’est
pas fini. Constituée autour de l’Etat major, des entreprises françaises et de
l’Elysée, liées à des dictateurs corrompus et à des réseaux parallèles et
maffieux, la Françafrique contribue à piller les ressources naturelles des pays
francophones par la corruption, la manipulation et la guerre, en toute
impunité. Elle permet à des chefs d’Etat de se maintenir au pouvoir, contre les
aspirations des peuples à prendre leur avenir en mains.
5°)
Le remède est à terme pire que le mal : les conséquences de l’intervention
militaire sont dévastatrices
Avec
un objectif politique aussi flou et malléable que « la lutte contre le
terrorisme », une telle guerre peut être sans fin : initialement présentée
comme une nécessité défensive, l’opération Serval a déjà basculé dans une phase
offensive et est désormais annoncée pour une durée indéterminée. Le bilan
accablant des récents antécédents français en Afrique annonce pourtant l’échec
programmé de cette aventure : Les interventions de 2011 en Côte d’Ivoire et en
Libye ont en effet débouché sur des situations internes explosives, aujourd'hui
passées sous silence. Cette fois encore, l'opération militaire risque de
laisser place à des comportements de revanche violents contre la population du
nord du Mali, notamment des exactions contre les populations arabe et touareg,
dont l'armée française pourrait bien se rendre complice au nom de la lutte
contre le terrorisme.
Cette
logique de guerre risque même de déstabiliser le Sahel tout entier, par la
dissémination des groupes armés et la présence de troupes étrangères offrant le
prétexte idéal à de nouvelles prises d'otages et à la mobilisation de nouveaux
djihadistes, parmi la population locale ou en provenance d'autres régions du
monde.
La
rhétorique belliciste de la guerre contre le terrorisme, de l’Irak à
l’Afghanistan renforce le djihadisme et l’idéologie de la guerre de
civilisation, sans rien résoudre sur le terrain. Cette rhétorique est d’autant
plus dangereuse qu’elle favorise le renforcement des courants djihadistes
notamment en Tunisie et en Libye.
6°)
La France doit balayer devant sa porte :
Elle
est muette sur le rôle des États du Golfe qui soutiennent financièrement les
djihadistes qui ont attaqué le Mali. Mais elle parle « affaires » avec le Qatar
et coopère militairement avec l’Arabie Saoudite.
La
guerre au Mali aggrave une situation catastrophique. Avant même l’intervention
militaire française, plus de 150 000 personnes se sont réfugiées dans les pays
voisins, plus de 230 00 ont été déplacées à l’intérieur du pays, selon le HCR.
La France, de la colonisation à l’intervention en Libye, a une responsabilité
particulière dans la situation actuelle. Elle ne peut s’exonérer de ses
responsabilités vis à vis des souffrances du peuple malien. Elle doit appliquer
pour les immigrés maliens avec ou sans papiers, un devoir d’hospitalité, qui doit
se traduire par :
-
un moratoire sur les expulsions de Maliens, en situation administrative
irrégulière, vers leur pays d’origine et une régularisation à titre
exceptionnel et humanitaire comme cela est prévu dans les textes en raison de
l’état de guerre
-
la suppression de l’exigence de visas pour les Maliens voulant venir en France
7°)
Pour une solution politique basée sur la souveraineté du peuple malien
La
reconquête de la souveraineté territoriale du pays doit aller de pair avec la
reconquête par le peuple malien de sa souveraineté dans le cadre d’un processus
national constituant, sans ingérence des grandes puissances. La France doit
respecter la souveraineté des pays du Sahel sur leurs ressources naturelles.
Ces derniers mois, la France n’a en rien contribué à l’émergence d’une solution
politique discutée par l’ensemble des Maliens et de nature à favoriser un
consensus, préalable à une réorganisation rapide des forces de sécurité.
Aujourd’hui, la présence de soldats français jusque dans Bamako représente une
pression importante sur les autorités maliennes en état de grande faiblesse.
Une solution politique passe donc nécessairement par le retrait des troupes
françaises. C’est aux Maliens qu’il revient de dessiner l’avenir de leur pays.